L’éclairage donné par un ancien responsable du renseignement extérieur israélien est toujours partiel - et parfois partial - mais il reste passionnant à suivre car il donne les grandes orientations de l’État d’Israël.

En 2006, après une carrière dans l’Tsahal, il a commencé à travailler au Mossad à la tête de la division de lutte contre le terrorisme au sein de la branche du renseignement de l’organisation. De 2010 à 2011 il a dirigé brièvement la division de recherche stratégique du Mossad avant d’être nommé directeur du renseignement. A ce poste, il a dû faire face à de nombreux évènements dont les révolutions dans le monde arabe , la guerre civile syrienne et le programme nucléaire iranien .

En 2016, il a quitté la Mossad pour devenir maître de recherches à Harvard. À partir de 2017, il a dirigé le bureau politico-militaire du ministère de la Défense israélien avant de prendre sa retraite en 2022.

Ci-après des extraits [commentés] de son intervention qui a eu lieu au début 2025.

 

Armement nucléaire iranien

Pour lui, l’Iran « n’a pas la bombe [Atomique] » même si l’« état du seuil » peut être discuté [les spécialistes ont toujours défendu cette thèse affirmant que – comme le Japon -, l’Iran a la « capacité technique » de réaliser une arme nucléaire, le fameux « seuil », mais Téhéran ne l’a pas franchi. Bâtir une force nucléaire réellement opérationnelle prendrait de deux à quatre ans].

Israël a fait beaucoup pour cela au cours des vingt dernières années

[ opérations « arma » : sabotages tel le virus informatique Stuxnet, vol de données, explosions dans des sites stratégiques et opérations « homo » : neutralisation de responsables et de scientifiques, etc.].

Cela ne signifie pas que l’État hébreu doit baisser la garde.

Frappe de l’Iran sur Israël

Le monde ne comprend pas la puissance des États-Unis. Par exemple, ils savaient, grâce à nos renseignements communs, qu’une attaque iranienne était imminente en avril 2024. Ils ont alors appelé tous les dirigeants du Moyen-Orient et leur ont dit : « mes amis, écoutez – à partir de deux heures, il n’y aura plus de vols civils dans tout le Moyen-Orient ». Les écrans radar se sont vidés car il n’y avait plus de « bons » dans les airs, seulement des « méchants ». Cela a grandement facilité l’identification des cibles. C’est un niveau de puissance [politique] qui n’avait jamais été atteint auparavant.

Réplique israélienne et barrière psychologique d’une frappe directe sur l’Iran franchie

L’utilisation par les Iraniens de leurs missiles sol-sol a un double tranchant : ils nous ont « forcés » à les attaquer sur leur sol. Aujourd’hui, cette barrière psychologique n’existe plus. Nous l’avons déjà fait deux fois. Et ce, avant même que Trump ne revienne sur le devant de la scène.

[les Israéliens ont démontré leur capacité de frappes à longues distances – mais surtout -, la faiblesse de la défense anti-aérienne iranienne et l’immobilisme de tous les pays qui ont été survolés durant les raids : Syrie, Irak, Jordanie, etc.].

Trump est imprévisible, et nous ne savons pas si les Américains s’engageront à bombarder l’Iran, mais même dans un mauvais jour, les Américains savent comment démanteler la menace nucléaire iranienne en huit heures.

[« démanteler… en huit heures » est vraisemblablement une expression exagérée « réduire la menace nucléaire… » aurait été plus approprié].

Les Américains ont des capacités qu’aucune autre puissance au monde ne possède à cet égard. Il leur suffit de prendre la bonne décision.

Qu’ils le fassent ou non, je ne peux pas le dire – c’est pour cette raison que nous avons développé nombre de nos propres capacités au fil des ans. Nous avons vu certaines de ces capacités au cours de la dernière guerre, et j’espère que nous n’aurons pas à les utiliser [la menace est claire].

Opérations « homo »

En ce qui concerne les beapers piégés au Libanles beapers piégés au Liban et les opérations futures, je ne parlerai pas d’opérations spécifiques, mais chaque action de ce type représente un travail de trois à dix ans. Il est possible que les personnes qui étaient capables d’exécuter cette opération savent également comment mener des actions similaires à une échelle plus grande au niveau d’un État [vraisemblablement, l’Iran et le Yémen].

Le « croissant chiite » brisé

Au début des années 2000, ce que nous appelons « l’Axe du mal » [Iran – Irak – Syrie – Hezbollah libanais – Yémen ] a commencé à se former.

Mais cet axe n’existe plus. Assad est tombé, le Hezbollah n’est pas dans le même état que l’année dernière, et l’Iran a gaspillé une grande partie de ses pasdarans. Et, comme je l’ai « entendu », il a perdu récemment certains systèmes de défense importants. Contrairement aux théories iraniennes et de Nasrallah, les Israéliens sont très résilients. C’est pourquoi, contrairement à la menace nucléaire, la « ceinture de feu » (les mandataires de l’Iran) et leur guerre d’usure ne sont pas [plus]des menaces existentielles.

Israël et les États-Unis ont investi des milliards dans la construction d’un « dôme de défense », comprenant le Dôme de Fer, la Fronde de David et le système Arrow 2. Bientôt, nous aurons également des intercepteurs laser, qui amélioreront le système qui amélioreront le système.

Même si, Dieu nous en préserve, une arme nucléaire devait apparaître un jour, ces systèmes sauraient comment l’intercepter. Mais je ne suggère pas que nous laissions exister une arme nucléaire juste pour pouvoir l’intercepter. Au contraire !

Nous devons continuer à faire ce que nous avons fait au cours des 40 dernières années pour les empêcher d’obtenir des armes nucléaires. Si nécessaire, nous attaquerons. La barrière psychologique a été brisée.

L’erreur de Nasrallah a été de croire qu’il comprenait Israël, mais ce n’était pas le cas. Il a vu la division dans la politique israélienne mais n’a pas compris ce que vous et moi, en tant qu’Israéliens, avons compris immédiatement : au moment du 7 octobre [les massacres lancés par le Hamas et consorts en 2024], la politique n’avait plus d’importance.

Au final, les Iraniens ont perdu le dirigeant le plus stable et le plus équilibré qu’ils avaient. Nasrallah, à un moment donné, était pratiquement un leader régional, dictant les tendances. C’est du passé.

Au fil des ans, dans le monde arabe, il a donné le ton contre Israël. Mais ce n’est plus le cas. De plus, ils ont dépensé des dizaines de milliards de dollars en quarante ans pour construire une force qui a essentiellement disparu en six semaines

[il est vrai que le Hezbollah a été décapité perdant ses plus importants responsables, ses circuits d’approvisionnement en armes via la Syrie et se retrouvent pour l’instant inopérants].

La Jordanie en danger

Il y a à la fois des réalisations et de nouvelles menaces.D’un côté, nous avons éliminé une série de menaces.De l’autre, il y a de nouveaux défis qui me préoccupent aujourd’hui. La situation est préoccupante, non pas tant à cause de la Syrie elle-même, mais à cause de la façon dont elle pourrait affecter la Jordanie.

Si quelque chose est le plus important pour Israël, ce sont les accords de paix avec l’Égypte et la Jordanie. Ce sont les deux éléments les plus stables des dernières décennies. Si, Dieu nous en préserve, quelque chose les déstabilise, nous nous retrouverons en territoire inconnu.

Les soi-disant « rebelles [syriens]» sont impatients de renverser la Jordanie. Nous devons en être conscients.

De plus, maintenant que les Iraniens ont perdu la Syrie, vers qui se tourneront-ils ? Peut-être en Jordanie ? Je me demande constamment où nous pourrions être pris au dépourvu du point de vue du renseignement.

Je ne veux pas être alarmiste, mais nous devrons investir des ressources importantes pour faire face aux développements autour de la Jordanie. La Jordanie est cruciale pour de nombreuses questions : les questions palestiniennes, la profondeur stratégique des États du Golfe et la connexion terrestre entre Israël et l’Arabie saoudite.

Si un accord est conclu avec les Saoudiens, imaginez l’énorme flux économique qui pourrait transiter par la Jordanie.

[peu de monde parle de cette menace contre la Jordanie qui viendrait à la fois des rebelles syriens et des Iraniens. C’est un sujet à creuser…].

En attendant, Erdoğan acquiert un pouvoir disproportionné. Je ne connais pas encore ses ambitions ultimes et je me pose de nombreuses questions sur cette nouvelle réalité.

Il y a une raison pour laquelle nous ne nous sommes pas précipités pour intervenir en Syrie en 2014 : la situation là-bas est incroyablement complexe.

Il ne fait aucun doute qu’il y a aussi des opportunités ici. Mais d’abord, réglons cette situation pour que notre peuple puisse rentrer chez lui. Israël est finalement un État résilient et heureux, mais l’incident de l’enlèvement [du 7 octobre 2024] nous a tous affectés d’une manière que je n’avais jamais connue auparavant.

Si nous sortons de la situation actuelle, les Israéliens sont des travailleurs acharnés et je crois que notre économie créera des opportunités. Le monde le reconnaîtra et les investissements reviendront, mais cela dépendra de notre capacité à nous stabiliser sur le plan interne.

Les accords d’Abraham ?

En ce qui concerne les accords d’Abraham, en tant que personne qui a eu l’honneur de signer le volet sécuritaire des accords, je peux vous dire que la puissance militaire était la dernière chose qui les intéressait.

MBZ [Mohammed ben Zayed Al Nahyane, président des Émirats arabes unis] qui est selon moi un dirigeant extraordinaire, nous voulait comme amis en raison de notre expertise en haute technologie. Il s’intéresse à notre intelligence artificielle, à nos systèmes de renseignement et au génie israélien derrière tous ces brevets, pas seulement ceux liés à la sécurité.

Prenons par exemple les vols. Outre El Al, quelles compagnies aériennes ont continué à desservir Tel-Aviv pendant la guerre ? Etihad et Fly Dubai. Les Américains et les Européens ont oublié leur amitié avec nous dans ce contexte, mais les Émiratis ont pris une décision stratégique étonnante.

Les accords d’Abraham, encore « jeunes » du haut de leurs trois ans, ont fait face à leur plus grande crise.Pourtant, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Maroc ont tous respecté leurs accords. Je trouve cela remarquable.

Deux autres pays – l’Arabie saoudite et l’Indonésie – manquent encore à l’appel, mais ils représenteraient un formidable coup de pouce économique.

 

Les chercheurs peuvent trouver dans cet entretien des éléments qui laissent entendre qu’Israël :

. va poursuivre son effort pour neutraliser l’influence de Téhéran,

. développer autant que possible les accords d’Abraham en direction du monde sunnite,

. redevenir un pôle d’attraction technologique ce qui pourrait calmer la situation politique intérieure chaotique et attirerait les pays musulmans alléchés par des échanges économiques constructifs.

De nombreuses inconnues subsistent, notamment, l’évolution de la situation en Syrie, au Liban, en Jordanie, quelle va être l’attitude de la nouvelle Administration américaine et sur le rôle de plus en plus interventionniste d’Ankara…

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Texte

Alain Rodier