Le 7 septembre, les chefs des services du renseignement extérieur américain, William Burns (CIA) et britannique, Sir Richard Moore (MI6), ont déclaré dans un article conjoint inédit du Financial Times que l’ordre mondial est « menacé comme nous ne l’avons pas vu depuis la Guerre froide ».

La question qui peut se poser est : qui a déstabilisé cet ordre mondial depuis l’éclatement de l’URSS qui était alors à genoux ?

Ils ont aussi dit que les deux pays étaient unis pour « résister à une Russie assertive et à la guerre d’agression de Poutine en Ukraine ».

La question suivante est : pourquoi la Russie a jugé utile d’intervenir en Ukraine (et pas uniquement avec l’invasion mais aussi avec l’annexion de la Crimée en 2014 ?).

Ils ont précisé qu’ils avaient vu venir la guerre en Ukraine « et qu’ils avaient pu avertir la communauté internationale », en partie en déclassifiant des secrets pour aider Kiev.

Enfin, ils ont affirmé que des efforts étaient en cours pour « perturber la campagne imprudente de sabotage » menée à travers l’Europe par la Russie mais aussi  pour faire pression en faveur d’une désescalade dans la guerre entre Israël et Gaza et pour lutter contre le terrorisme afin de contrecarrer la résurgence de l’État islamique (EI).

Les sujets semblent mélangés mais ne sont que l’image des préoccupations des services de renseignement anglo-saxons et autres.

Dans l’éditorial du FT, ils ont développé : « il ne fait aucun doute que l’ordre mondial international – le système équilibré qui a conduit à une paix et une stabilité relatives et a permis une augmentation du niveau de vie, des opportunités et de la prospérité – est menacé d’une manière que nous n’avons pas vue depuis la Guerre froide ».

Ils ont ajouté : « combattre avec succès ce risque » est à la base de la relation spéciale entre le Royaume-Uni et les États-Unis.

L’une des « menaces sans précédent » auxquelles sont confrontés les deux pays est la guerre en Ukraine, qui en est à sa troisième année après l’invasion de la Russie en février 2022.

Les chefs des services de sécurité ont aussi fait leur première apparition publique ensemble au FT Weekend Festival à Kenwood House à Londres le 7 septembre.

Burns a déclaré aux participants que la récente conquête de territoires russes par l’Ukraine dans la région de Koursk était une « victoire tactique significative ». Toutefois, il n’a constaté aucune preuve de l’affaiblissement de l’emprise du président Vladimir Poutine sur le pouvoir au Kremlin.

Il est difficile de croire que les services de renseignement anglo-saxons ne connaissaient pas les intentions du commandement militaire ukrainien à l’avance. Cela ne veut pas dire que Washington et Londres ne soient pas intervenus – à charge ou à décharge –  dans cette affaire car Kiev garde une grande latitude de décision.

L’Ukraine a appelé depuis des mois l’Occident à fournir davantage d’armes et à lever les restrictions sur leur utilisation sur le territoire russe. Cet échec a parfois été imputé à la crainte de la réaction de Moscou.

Point fondamental : Burns a particulièrement affirmé qu’« aucun d’entre nous ne devrait prendre à la légère les risques d’escalade [nucléaire] ».

Il a même décrit un moment à la fin de 2022 où il y avait, selon lui, un « risque réel » d’utilisation potentielle d’armes nucléaires tactiques par la Russie en réponse à des revers sur le champ de bataille. Il aurait alors transmis personnellement des messages aux responsables russes les avertissant des conséquences de cette mesure.

Néanmoins il a poursuivi en disant : « je n’ai jamais pensé, cependant – et c’est le point de vue de mon agence – que nous devrions être inutilement intimidés par cela […] Poutine est un tyran. Il va continuer à faire des bruits de bottes de temps en temps ».

Pour faire court, pour l’instant, la CIA ne croît pas à l’utilisation d’armes nucléaires tactiques par Moscou mais il n’est actuellement pas question de négociations. Les observateurs sont certains que rien ne se passera du côté américain avant le résultat des élections présidentielles de fin d’année, la clef du début des négociations étant à la Maison-Blanche. Kiev et Moscou le savent aussi.

Interrogé sur la volonté croissante des services de renseignement russes de mener des opérations secrètes comme des sabotages et des incendies criminels en Europe, Sir Richard Moore a déclaré que leur recours à des criminels pour mener des attaques suggérait un certain degré de désespoir. Il a précisé : « les services de renseignement russes sont devenus un peu désorganisés dans certains de leurs comportements ».

En clair, n’ayant plus leurs capacités passées, ils font un peu n’importe quoi…

De son côté, M. Burns a ajouté que même si les complots semblent parfois « amateurs », ils peuvent toujours être « imprudents et dangereux ».

Dans leur article conjoint pour le journal FT, les deux hommes ont déclaré que « maintenir le cap est plus vital que jamais » lorsqu’il s’agit de soutenir l’Ukraine, ajoutant que M. Poutine « ne parviendra pas à ses fins ».

Il a aussi été noté que ce conflit a montré comment la technologie peut modifier le cours de la guerre et a mis en avant qu’il convenait de la nécessité de « s’adapter, d’expérimenter et d’innover ».

Indubitablement, l’emploi massif de drones sur le champ de bataille mais aussi dans la profondeur, est un des éléments qui a considérablement révolutionné l’Art de la guerre. Les états-majors n’en sont qu’au début des retours d’expérience et les armées passeront les prochaines dizaines d’années à s’adapter à cette nouvelle donne.

Les deux responsables sont conscients que la montée en puissance de la Chine est le principal défi géopolitique et de renseignement du siècle. Ils ont réorganisé leurs services « pour refléter cette priorité ».

Quel qu’aient été les intentions initiales des Occidentaux ou de la Russie (la géopolitique n’est pas une cour de récréation où l’on tente de définir qui a déclenché le premier une bagarre), aujourd’hui l’affaire est pliée avec la Russie : Moscou est un adversaire et il convient d’en tirer les conséquences. Le problème est que Washington et Londres aimeraient bien emmener l’OTAN dans l’affrontement qui se profile avec Pékin. Aux responsables politiques de répondre à cette question.

Enfin, il convient de ne pas se faire d’illusions. La puissance de recueil en informations des multiples services de renseignement anglo-saxons ajouté à la puissance des « Five Eyes », l’alliance de coopération en matière de renseignement électromagnétique composée de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis est colossale.

Mais en dehors de cette puissance de recueil d’informations, il y a celle de l’« influence » qui est vraisemblablement aussi gigantesque. Les Européens, la Russie jouent « petits bras » à côté. Il reste la Chine qui est la seule puissance ayant la taille suffisante pour la concurrencer.

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Texte

Alain Rodier