Le 5 août 2024, après une journée de manifestations meurtrières au cours desquelles des affrontements entre opposants à la Première ministre Sheikh Hasina, les forces de l'ordre et des partisans du parti au pouvoir (la Ligue Awami) ont fait au moins 94 morts, des milliers de manifestants ont pris d'assaut le palais de la Première ministre à Dacca, la capitale du Bangladesh.
Un hélicoptère a exfiltré Sheikh Hasina qui a été contrainte de démissionner ainsi que sa sœur Rahina vers Agartala, une ville située au nord-est de l’Inde.
Le lieutenant-général Waker-uz-Zaman, le chef d’état major des armées a commencé à rencontrer les chefs de partis politiques en vue de former un gouvernement intérimaire avant la tenue d’élections législatives (la « chambre des Nations » composée de 350 membres). Le parti au pouvoir jusqu’au 5 août ( la Ligue Awami )devrait être exclu de ce gouvernement. Par contre, le grand parti d’opposition, le Parti nationaliste du Bangladesh BNP (qui est allié au principal parti islamique du pays, le Jamaat-e-Islami) devrait être très représenté.
Le président Mohammad Shuppu Shahabuddin en poste depuis le 4 avril 2023 reste pour le moment à la tête du pays. Quoique son rôle soit essentiellement représentatif, il a présidé une réunion le 5 août au soir en présence des chefs militaires ordonnant la libération de l’ancienne Premier ministre et cheffe du BNP, Khaleda Zia ainsi que de tous les manifestants arrêtés. Dans un signe d’apaisement, l’état d’urgence a été levé.
Déroulé des évènements
Le Bangladesh est un pays musulman de 170 millions d’âmes. Les étudiants contestent, sur fond de chômage aigu des diplômés, les faveurs dont bénéficient les proches du pouvoir pour devenir fonctionnaires. Le collectif étudiant « Students Against Discrimination » (Étudiants contre les discriminations) a pris la tête de cette véritable insurrection qui aurait fait plus de 350 tués depuis le début juillet.
Dans un pays qui compte de nombreux diplômés au chômage, les étudiants exigeaient l’abolition d’un système de discrimination positive qui réserve un quota d’emplois publics aux familles des vétérans de l’indépendance. Partiellement aboli en 2018, ce système a été restauré en juin par la justice, mettant le feu aux poudres, avant un nouveau retournement fin juillet de la Cour suprême. La crise sociale s’est muée en crise politique à partir du 16 juillet, quand la répression a fait ses premiers morts, les manifestants réclamant alors la démission de la Première ministre Sheikh Hasina.
Dans une prise de position hautement symbolique contre cette dernière, l’ancien chef de l’armée, le général Ikbal Karim Bhuiyan et plusieurs autres ex-officiers supérieurs ont appelé au début août au retrait des troupes de la rue, en soulignant que les gens n’avaient « plus peur de sacrifier leur vie ».
L’ancien général a précisé : « ceux qui sont responsables d’avoir poussé les habitants de ce pays dans un état de misère aussi extrême devront être traduits en justice ».
D’ailleurs en août, des soldats et des policiers ne sont parfois pas intervenus contre les protestataires, contrairement au mois dernier.
Des manifestants ont même escaladé une statue du fondateur emblématique du Bangladesh, Sheikh Mujibur Rahman (assassiné avec une partie de sa famille lors du coup d’État militaire de 1975) et père de Sheikh Hasina.
Et pourtant, pendant ses quinze ans de gouvernance de Sheikh Hasina, ce pays de 170 millions d’habitants, naguère l’un des plus pauvres au monde, a bénéficié d’un net essor économique considérable grâce notamment au développement de son industrie textile.
Depuis 2009, il a enregistré une croissance annuelle supérieure à 6 % en moyenne et, en 2021 a même dépassé l’Inde en revenu par habitant malgré la persistance de fortes inégalités. En effet, selon les données gouvernementales, 18 millions de jeunes bangladais sont toujours sans emploi.
En 2017, la communauté internationale avait salué l’ouverture du pays en 2017 à des centaines de milliers de réfugiés rohingyas fuyant des massacres en Birmanie voisine.
Mais parallèlement, la quasi-totalité des dirigeants du principal parti d’opposition, le parti nationaliste du Bangladesh (BNP) et des milliers de ses partisans ont été arrêtés, tandis que la liberté d’expression était drastiquement réduite.
Historique
Depuis 1971, date de l’indépendance du Bangladesh suite à sa séparation du Pakistan, 14 gouvernements et quatre coups d’État militaires se sont succédé dans le pays. Le fondateur de cette république populaire est Sheikh Mujibur Rahman a été assassiné en 1975 avec de nombreux membres de sa famille par un premier coup d’état militaire. Sheikh Hasina qui se trouve alors en Allemagne se réfugie en Inde. Elle en revient en 1981 pour prendre les rênes de la ligue Awami, le parti fondé par son père. Elle est alors soumise à de fréquentes périodes d’assignation à résidence.
Elle s’allie alors à Khaleda Zia, devenue responsable du BNP après l’assassinat de son mari Ziaur Rahman, président du Bangladesh, lors d’un autre coup d’État militaire en 1981.
Unies contre la dictature militaire de Hossain Mohammad Ershad, les deux femmes et leurs partis entrent dans une féroce rivalité au retour de la démocratie en 1991, année où Khaleda Zia est élue.
Sheikh Hasina lui succède pour un premier mandat à la tête du pays en 1996, mais doit à nouveau s’incliner face à elle en 2001.
Les rivales sont finalement toutes deux emprisonnées pour « corruption » en 2007, lors d’un nouveau coup de force orchestré par l’armée. Elles bénéficient d’un non-lieu et l’année suivante Sheikh Hasina remporte largement les législatives.
En 2018, Khaleda Zia est condamnée à 17 ans de prison pour corruption et incarcérée.
Cinq hauts dirigeants islamistes et une personnalité de l’opposition ont par ailleurs été exécutés au cours de la dernière décennie après avoir été condamnés pour des crimes contre l’humanité commis pendant la brutale guerre de libération du pays en 1971.
Loin de panser les plaies de ce conflit, ces procès ont déclenché des affrontements meurtriers, ses opposants les qualifiant de prétexte visant à faire taire les dissidents.
En 2021, les États-Unis ont imposé des sanctions à une branche d’élite des forces de l’ordre du Bangladesh, le RAB (Rapid Action Bataillon) en raison de violations répétées des droits humains. L’ONG Human Rights Watch a affirmé en novembre 2023 détenir des preuves de « disparitions forcées, de torture et d’exécutions extrajudiciaires ».
Il va falloir attendre des semaines pour savoir :
. si l’ordre est vraiment rétabli car la situation des « étudiants chômeurs » ne va pas s’arranger miraculeusement ;
. quelle est la composition du gouvernement intérimaire et le poids exercé par les miliaires ;
. quels seront les résultats des élection législatives quand elle auront lieu…
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