Tous les commentateurs avertis connaissent l’importance stratégique croissante de l’Arctique(1). Moscou n’exclut pas que cette région devienne un jour un futur théâtre de combats.

En effet, le réchauffement climatique mondial qui provoque le retrait progressif de la calotte glaciaire polaire ouvre de plus en plus la région à des activités et à des concurrences géopolitiques accrues considérées comme vitales par le Kremlin. La position géographique de la Russie explique cela (voir planisphère ci-après.)

La Russie mais aussi les États-Unis, le Canada et, dans une moindre mesure, la Chine, ainsi que d’autres pays, cherchent à étendre leur présence militaire dans l’Arctique – ou du moins la capacité de leurs forces armées à y opérer efficacement.

Moscou développe depuis ces dernières années des activités intenses pour développer ses infrastructures dans la zone afin de mieux soutenir les déploiements croissants de ses navires, ses avions et ses forces terrestres.

Les navires « projet 23550 » sont à l’avant-garde de ces efforts et mettent en évidence l’écart croissant en termes de capacités navales en zone polaire entre la Russie et les États-Unis (globalement, l’US Navy est très supérieure à son homologue russe particulièrement grâce à ses porte-aéronefs auxquels il faut ajouter ceux du US Marine Corps mais accuse un retard important pour les navires polaires.) 

La Russie continue à développer sa flotte de brise-glaces et de navires capables de naviguer dans des conditions polaires. Elle compte aujourd’hui environ 46 unités.

Source USCG

Le premier nouveau brise-glace « de combat » projet 23550 de la marine russe a officiellement commencé ses essais à la mer en juin 2024.

Baptisé « Ivan Papanin » ce vaisseau a un armement de base et surtout la possibilité d’augmenter sa puissance de feu à l’avenir, notamment en ajoutant des missiles de croisière.

Un communiqué du ministère russe de la Défense indique : « au cours de cette phase de tests, le fonctionnement du système de propulsion et des systèmes d’équipement embarqués sera vérifié. »

Sa mise en service officielle était prévue en 2023 mais elle a pris du retard sans doute en raison des difficultés rencontrées en Ukraine qui ont conduit à réorienter l’effort de production du complexe militaro-industriel sur des objectifs d’urgence immédiate (remplacement ou réparation des matériels endommagés, augmentation de la cadence des chaînes de production, etc.)

L’Ivan Papanin rejoindra la flotte du Nord de la marine russe à une date non déterminée mais l’équipage serait déjà en phase de formation avancée.

Valery Polyakov, conseiller du chef du Centre de recherche d’État de Krylov, un groupe public de recherche et de développement en matière de construction navale, a donné sa vision de l’évolution des projets russes en matière de ce type de navires : « il y aura des brise-glaces, c’est-à-dire des navires capables de se déplacer à une vitesse suffisante à travers des banquises d’une certaine épaisseur. En fait, ce seront des brise-glaces armés […] Là où la glace est mince, il y aura plus d’armes et inversement. »

Les navires de classe Projet 23350 ont la capacité à accueillir des armes supplémentaires lorsque les conditions environnementales le permettront.

Dans sa configuration initiale, l’Ivan Papanin dispose d’un canon principal AK-176 MA-01de 76 mm dans une tourelle sur la proue.

Sur la base des déclarations du même expert Polyakov, l’Agence Tass avait rapporté qu’il pourrait éventuellement recevoir une tourelle AK-190, également connue sous le nom d’A-190, armée d’un canon de 100 mm.

Il est également possible d’installer des lanceurs conteneurisés pour les missiles de croisière antinavires Klub. Un container contient quatre missiles de de type.

Un espace à l’arrière du navire est expressément conçu pour accueillir deux containers lanceurs de missiles, ajoutant ainsi une puissante capacité d’engager des cibles dans un rayon compris entre 1.700 et 2.900 kilomètres.

L’Agence Tass précise que les navires pourraient aussi être armés de 16 missiles antinavires Uran dans deux lanceurs de conteneurs.

Le 3M24 Uran (Uranus) ou 3K60 Bal est un missile antinavire subsonique plus petit que le Klub avec une portée maximale de 120 kilomètres proche dans son concept du Harpoon américain.

Les Projet 23550 disposent également d’une plate-forme pour hélicoptère et d’un hangar à l’arrière, suffisants pour supporter un appareil de la série Helix. Au moins une impression d’artiste montre un hélicoptère d’assaut naval Ka-29 à bord, offrant une autre option pour affronter les menaces hostiles.

Peu importe ou et quand l’Ivan Papanin ou d’autres Projet 23550 recevront des armes supplémentaires, cette conception représente une rupture majeure par rapport aux brise-glaces traditionnels, qui n’ont pas été conçus pour de véritables missions de combat. Etant armés, ils sont considérés comme des objectifs militaires naturels.

Dans le même temps, le Projet 23550 reste également un brise-glace performant.

Avec un déplacement de 9.000 tonnes, les navires devraient briser la glace jusqu’à 170 centimètres d’épaisseur. Bien que ce soit nettement inférieur aux 300 centimètres environ qu’un brise-glace lourd peut gérer, le Projet 23550 y parvient avec une coque relativement légère.

Trois autres navires de type projet 23550 sont prévus être construits. Sur les quatre projets 23550, deux sont destinés aux troupes frontalières russes et pourraient bien être équipés différemment.

Il n’en reste pas moins qu’ils sont avant tout que des patrouilleurs maritimes de haute mer dont la mission est d’abord représentative mais pas réellement guerrière.

Il ne sont pas aptes à la lutte antiaérienne (en dehors de la défense à très courte portée avec l’embarquement possible de Manpads) et anti sous-marine.

Enfin, une fois dans les glaces, leur vitesse réduite et le capacité de manœuvre plus que limitée en font des cibles de choix pour des missiles ou des drones…

Par ailleurs, les navires russes de cette catégorie comprennent le nouveau projet conventionnel 22600 et les énormes brise-glaces à propulsion nucléaire Projet 22220, ainsi que les pétroliers polyvalents Projet 03182 capables de résister aux glaces.

D’autres navires de soutien capables de résister aux glaces ont également été livrés ces dernières années, à savoir la série Project 20180.

Arktika, le premier brise-glace à propulsion nucléaire russe du projet 22220, est actuellement le plus grand navire de ce type au monde.

 

1. Voir « menaces sur l’Arctique » du 22 février 2024.

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Texte

Alain Rodier