Le 26 juin, la Bolivie a connu une tentative de « coup d’État militaire » mais les motivations et les intentions des protagonistes restent encore floues.

La Bolivie a une Histoire chaotique, le pays ayant été gouverné presque continuellement par des régimes militaires de 1964 à 1982, mais elle est ensuite redevenue une démocratie à la « latino-américaine » ; c’est-à-dire un mélange d’influences populaires, des forces armées, des révolutionnaires à tendance castriste, des cartels (d’où une corruption importante)… sans oublier Washington qui considère l’Amérique latine comme son « pré-gardé. »

Les faits

Des militaires accompagnés de quelques véhicules blindés ont pris position sur la place Murillo dans la capitale La Paz où se trouvent les principaux bâtiments gouvernementaux. Un blindé a enfoncé la porte d’entrée du palais présidentiel par laquelle les putschistes ont pu pénétrer dans le bâtiment.

Le général Juan José Zúñiga commandant des forces armées boliviennes qui semblait être à la tête du « putsch » a déclaré à la presse vouloir « restructurer la démocratie » et que même s’il respectait le président (depuis 2020) Luis Arce « pour l’instant », il y aurait un changement de gouvernement.

Il avait été nommé à son poste en 2022 mais aurait été démis de ses fonctions la veille du putsch… après avoir tenu des propos incendiaires à l’égard de l’ancien président du pays, Evo Morales qui le concurrent direct de Arce pour l’élection présidentielle de 2025.

Un face à face houleux a eu lieu entre les deux hommes entourés de leurs fidèles.

Des images montrent le président Arce face au général Zúñiga lui ordonnant de se retirer et lui demandant de quitter son poste.

S’exprimant depuis la place Murillo après sa prise par les troupes, le général Zúñiga avait accusé une « élite » de s’être emparée du « pays, des vandales qui ont détruit le pays. »

Mais peu avant son arrestation, le général a déclaré aux journalistes que le président lui avait ordonné de retirer les « blindés » dans le but d’améliorer sa popularité déclinante.

Le général a été finalement arrêté par des forces de police, les militaires se repliant sur leurs casernes.

Avec lui, 16 autres suspects ont été arrêtés dont le chef de la Marine (fluviale, la Bolivie n’a pas accès à la mer), le vice-amiral Juan Arnez Salvador. Ils encourent jusqu’à vingt ans de prison.

Plus tôt, le président avait condamné la tentative de coup d’État appelant l’opinion publique à « s’organiser et à se mobiliser… en faveur de la démocratie […] Nous ne pouvons pas permettre qu’une fois de plus des tentatives de coup d’État fassent des victimes en Bolivie. »

Ses paroles ont clairement trouvé un écho auprès une foule de manifestants descendus dans la rue pour soutenir le gouvernement.

Il a également annoncé qu’il nommait de nouveaux commandants militaires, confirmant ainsi les informations (alors non officielles) selon lesquelles le général Zúñiga avait bien été limogé après avoir ouvertement critiqué l’ancien président Evo Morales.

Ce dernier de retour de son exil mexicain a aussi condamné la tentative de coup d’État et a appelé à ce que des poursuites pénales soient engagées contre le général Zúñiga et ses « complices. » À noter qu’il avait aussi appelé ses partisans à descendre dans la rue avant de les rappeler voyant que le putsch avait fait long feu.

Le général Zúñiga s’était engagé en début de semaine à arrêter Morales s’il se présentait à nouveau aux élections générales l’année prochaine, bien que l’ancien président en soit « légalement » empêché. À savoir, qu’il a été contraint de quitter ses fonctions en 2019 par des manifestations (qui avaient fait une trentaine de tués) et par les chefs militaires qui ont déclaré qu’il avait essayé de manipuler le résultat de l’élection présidentielle précédente. Il avait trouvé refuge en Argentine puis au Mexique.

Pourquoi des doutes quant à la véracité du putsch ?

Le concept de l’auto-coup d’État ou de l’autogolpe fait depuis longtemps partie du lexique politique latino-américain.

Les circonstances diffèrent toujours, mais le terme fait généralement référence à un président en exercice qui cherche à s’emparer de pouvoirs extraordinaires car il juge que son action est entravée par les limitations démocratiques normales.

Le général Zúñiga a déclaré aux journalistes que l’armée avait mis en scène cette intervention à la demande du président Luis Arce qui est contraint à une lutte idéologique son célèbre prédécesseur (et populaire parmi les cocaleros dont il est issu) Evo Morales.

La perspective d’un putsch aurait permis au président Arce d’apparaître comme un champion de la démocratie et de lui donner une impulsion de popularité bien nécessaire pour les élections de 2025.

Sur le plan technique, le coup a débuté en milieu de journée, ce qui est étonnant que les exemples précédents les font démarrer dans la nuit ou au petit matin, et surtout, il n’y a pas eu de mouvement militaire ailleurs qu’à La Paz. L’Armée n’était pas mobilisée dans son ensemble et visiblement, il n’avait aucune chance de réussir.

Même l’opposition – qui a condamné le putsch – a des doutes…

La sénatrice de l’opposition Andrea Barrientos a fait écho à ses affirmations, suggérant qu’une crise économique et judiciaire avait peut-être poussé Arce à lancer un « auto-coup d’État. »

En effet, la Bolivie est actuellement confrontée à d’importantes pressions liées à la diminution de la production de gaz (sa première ressource), par l’augmentation du coût de la vie et par une pénurie de dollars américains.

Barrientos a ajouté : « je dirai que le gouvernement a beaucoup de questions et doit répondre au peuple bolivien et qu’il doit expliquer cette situation […] Nous dirons que nous avons besoin d’une enquête approfondie sur cette affaire. »

Un conseiller civil proche du général Zúñiga a aussi été arrêté : Anobal Abel Aguilar Gomez identifié par la police comme l’idéologue central du soulèvement militaire.

Selon le ministre de l’Intérieur, Eduardo Del Castillo, ce suspect aurait élaboré une stratégie pour mobiliser les forces armées vers la place Murillo dans le but de prendre le pouvoir par la force.

En réponse aux accusations portées contre lui, après son arrestation, Aguilar s’est mis en grève de la faim alléguant une violation de son droit à la défense. En outre, il s’est appelé lui-même : « ‘auteur de la doctrine des patriotes. »

Sur ses réseaux sociaux, Aguilar partage son point de vue sur la défense nationale et géopolitique. Il se présente comme un analyste des médias et un expert en planification et en enseignement.

Les semaines à venir seront cruciales pour établir si l’insurrection militaire du général Zuñiga n’était qu’un incident isolé, un véritable putsch ou une pièce théâtre orchestrée depuis des semaines. Le président Luis Arce qui n’a pas de majorité au Parlement, semble désormais plus vulnérable que jamais et d’autres pourraient tenter de déloger son administration par la politique à commencer par son ancien mentor, Evo Morales. Il risque de parvenir à ses fin comme semblait le craindre le général Zuñiga car dans l’ambiance actuelle, il pourra peut-être lever l’interdiction qui est faite de se présenter aux élections de l’an prochain.

Quant à Arce, qualifié de « traître » par Evo Morales, il espère aussi être réélu l’an prochain. Cette semaine, les deux hommes sont au moins tombés d’accord sur une chose : dénoncer une tentative de coup d’État.

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Texte

Alain Rodier