La Moldavie est un pays sensible pour la Russie qui souhaite la récupérer dans son giron dès que cela sera possible. De plus, n’appartenant pas à l’OTAN, elle n’est pas vraiment «protégée » par les Occidentaux.

Curieusement, un média russe a levé un scandale qui éclabousse les forces armées moldaves.

Selon cet organe de presse – qui n’a pu divulguer cette information qu’avec l’accord des plus hautes autorités -, le général Igor Gorgan, chef d’état-major moldave de 2013 à 2016 puis de 2019 à 2021 aurait été un agent de renseignement traité par le GRU depuis de nombreuses années.

Né en 1969 à Dubossary, en Moldavie (Transnistrie), il s’engage dans l’Armée Rouge à l’âge de 18 ans avant d’être admis à l’École supérieure de commandement militaire de Novossibirsk dont il sort diplômé en 1991. Il sert d’abord dans une division aéroportée dans la région d’Odessa en Ukraine avant de rejoindre la Moldavie devenue indépendante. Il est alors affecté à la 2ème brigade de fusiliers motorisée à Chisinau.

En 2001, il a été envoyé étudier aux États-Unis à École générale d’état-major à Fort Leavenworth.

À partir de  2003, bien que la Moldavie ne fasse pas partie de l’Alliance, il sert dans des missions internationales de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine, en Géorgie puis en Iraq. À noter qu’il parle couramment le roumain (sa langue natale), le russe, l’anglais, le français et le géorgien.

En 2013, il est nommé chef d’état-major général de Moldavie mais un conflit de personne l’oppose au ministre de la Défense de l’époque, Anatol Șalaru, le pousse à démissionner en 2016.

En 2019, après l’élection présidentielle d’Igor Dodonwon qui est pro-Russes, il retrouve son poste de CEM des armées moldaves.

Mais la nouvelle présidente Maia Sandu pro-européenne élue en 2020 lui demande de démissionner en 2021.

En 2023, il obtient le poste de chef de la sécurité au bureau de Chisinau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés  (UNHCR) qui gère le million d’expatriés ukrainiens dans le pays. Tirant parti de ses relations passées au ministère moldave de la Défense, il continue à informer le GRU.

Manipulation

Il n’est pas possible de déterminer exactement quand Gorgan a offert ses services au GRU mais cela aurait eu lieu en 2004, lorsqu’il était en service dans une mission de l’OTAN.

Ses Officiers Traitants (OT) successifs à Chisinau ont été les Attachés de défense auprès l’ambassade de Russie en Moldavie dont les derniers ont été le colonel Vadim Ukhnalev puis ses successeurs, les colonels Igor Dovbnya puis Alexei Makarov.

Pour mémoire, tous les Attaché de défense soviétiques puis russes rendent compte au GRU, le service de renseignement militaire – même s’ils sont gérés administrativement par un bureau spécial distinct du Ministère de la Défense -.

L’expulsion de 45 « diplomates » russes de Moldavie en juillet 2023 – dont l’ensemble du bureau militaire – met fin aux contacts physiques directs entre la source et ses OT.

Il est possible qu’il ait bénéficié d’un moyen technique pour continuer à correspondre avec Moscou.

Durant toutes les années de sa collaboration avec le GRU, étant donnés les postes importants qu’il a occupé en Moldavie et à l’étranger, il a pu fournir de nombreuses informations militaires et politiques sensibles.

Radio Free Europe a déclaré que la justice attendait les détails du Service d’Intelligence et de Sécurité (SIS) moldave « après quoi les procureurs décideront d’ouvrir ou non une procédure en vertu de l’article 337 du code pénal pour trahison ».

Mais le chef de cabinet de la présidente Sandu, Adrian Balutel, a révoqué le 11 juin les récompenses militaires et les rangs honorifiques de Gorgan en réponse à ces accusations.

Le général Gorgan, un agent double ?

L’étrangeté de la situation interpelle.

. Il semble que les autorités moldaves ont ignoré la situation du général qui avait certainement fait l’objet dans le passé d’enquêtes de sécurité poussées et d’une attention particulière des services de renseignement alliés – dont les Américains lors de son séjour à Fort Leavenworth puis à l’occasion de ses affectation à des postes de l’OTAN -.

. Il est aussi surprenant qu’il se soit laissé si facilement photographier sortant de l’ambassade de Russie en Moldavie. Le traitement d’une source de si haut niveau oblige à une clandestinité des contacts…

. Pourquoi sont-ce les Russes – via un de leurs médias (the Insider) – qui ont rendu l’affaire publique ? Cela ressemble fort à un « règlement de comptes » dirigé par le GRU contre son ex-précieux agent. En gros, ils l’ont « donné », un « classique » dans la guerre secrète…

Il est possible que Gorgan ait voulu changer de camp, ou pire encore pour le GRU, qu’il ait été un agent double rendant des comptes à un puissant service occidental. On pense tout de suite aux Américains qui avaient les moyens de le recruter.

Pour Moscou, cette « radiation » brutale de son agent devrait servir de « leçon » aux autres individus recrutés par leurs services…

Son avenir pénal donnera peut-être une réponse.

S’il « disparait », c’est qu’il était un agent double et qu’il a été mis à l’abri (les Américains savent très bien faire dans ce domaine).

S’il est incarcéré pour une longue peine de prison, c’est qu’il a déplu – pour une raison ou une autre – à ses Officiers traitants russes…

Publié le

Texte

ALAIN RODIER