Une délégation de magistrats mexicains a effectué une visite officielle en France à la mi-mai. Elle a rencontré le 16 mai le parquet de Paris et la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée.
Les magistrats mexicains ont alerté sur le risque de « mexicanisation » de l’hexagone si rien n’est fait pour enrayer le trafic de drogue et la montée en puissances des gangs qui s’y livrent.
Pour mémoire, les violences liées aux cartels de la drogue ont fait plus de 450.000 morts au Mexique en 20 ans.
Ils appellent la France à prendre des mesures d’urgence pour ne pas se retrouver d’ici quelques années dans la même situation que le Mexique.
Pour mémoire, le « chiffre d’affaires » annuel du narcotrafic en France est estimé à un minimum de 3,5 milliards d’€.
L’un des magistrats mexicains a estimé que l’attaque du fourgon pénitentiaire de Mohamed Amra au péage d’Incarville dans l’Eure le 14 mai qui a fait deux morts et trois blessés, montrait que les organisations criminelles en France avaient franchi un palier.
À noter que dans cette affaire toujours en cours, rien ne permet d’affirmer qu’Amra est à l’origine de son évasion ou s’il a été « exfiltré » par des tiers pour des raisons non connues.
En effet, peu avant, il aurait tenté une autre évasion en sciant les barreaux de sa cellule…
Il n’empêche que les tirs à tuer effectués sur les agents pénitentiaires qui l’escortaient marquent le franchissement d’un niveau de violence inégalé jusque là.
La délégation mexicaine a conseillé de mettre plus de moyens humains mais aussi de modifier la loi pour mieux lutter contre le narcotrafic.
Selon ces professionnels, la France est à un seuil pour prendre des mesures et ne pas commettre les mêmes erreurs : « les crimes organisés s’internationalisent, se globalisent. Nos systèmes pénaux garantissent les droits et libertés des personnes, mais il faudrait aussi organiser la manière de travailler contre le crime organisé. Au Mexique, il y a des menaces de mort, qui se traduisent par des actes, cela modifie la manière de travailler : il faut protéger les magistrats. La France peut encore proposer des modifications législatives et donner plus de pouvoir aux parquets, à la police et aux juges pour intervenir de manière efficace. Des peines plus fortes sont nécessaires. ».
Dans une note confidentielle sur les règlements de comptes entre trafiquants, la police judiciaire dit avoir déjà constaté de fortes similitudes entre les profils d’une nouvelle génération de criminels ; et les sicarios (les tueurs à gages) des cartels latino-américains. L’affaire de l’attaque du fourgon pénitentiaire va effectivement dans ce sens.
Toutefois Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, a répondu que « nous n’en sommes pas là » en France : « La définition d’un narco-état, c’est le fait que toutes les instances décisionnelles sont finalement pénétrées, infiltrées par les trafiquants, y compris des juges, parfois des magistrats, et que dès lors, les décisions qui peuvent être prises au niveau législatif, judiciaire ou tout autre sont influencées par les trafiquants. Mais nous sommes loin d’en être là. »
Elle se montre vraisemblablement un peu optimiste car certains magistrats sont placés sous protection policière et d’autres demandent un port d’arme…
Le 14 mai, une commission d’enquête du Sénat sur l’état du narcotrafic en France dressait un bilan accablant sur l’expansion territoriale du trafic, la corruption d’agents publics, et le manque de moyens des acteurs de terrain. Les sénateurs de la commission ont formulé une série de propositions afin de mettre en place une « stratégie globale et ambitieuse » pour sortir le pays « du piège du narcotrafic. »
Le communiqué officiel est le suivant : « Le travail considérable accompli par la commission d’enquête depuis sa création en novembre 2023 lui a permis :
– de dresser le portrait lucide d’une France submergée par le narcotrafic, marché criminel dont le « chiffre d’affaires » est estimé, en fourchette basse, à 3,5 milliards par an, et menacée par des trafiquants tout aussi rationnels et ingénieux que violents et corrupteurs ;
– d’identifier les failles qui nuisent à la réponse de l’État, depuis le positionnement international de la France jusqu’aux moyens dédiés aux services de terrain, en passant par les sujets de coordination entre acteurs, de procédure pénale et de lutte contre le blanchiment ;
– de formuler une série de propositions qui, à rebours des annonces éparses qui émaillent le débat public depuis quelques semaines, constituent une stratégie globale et ambitieuse ayant pour but de sortir notre pays du piège du narcotrafic ».
Très lentement, les autorités prennent conscience de la menace et commencent à réagir.
Prenant exemple sur la justice italienne, le dispositif de saisie et de confiscation des avoirs criminels géré par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) est régulièrement amélioré depuis les années 2010. Pour 2023, le montant des saisies réalisées dépasse 1,4 milliard d’euros (+87% sur un an) et celui des confiscations atteint 175,5 millions d’euros.
Le Sénat vient d’adopter un amendement étendant la peine complémentaire de confiscation générale du patrimoine aux infractions de corruption et trafic d’influence passifs et actifs punies de dix ans de prison. Une telle peine, particulièrement dissuasive en particulier pour les « associés » des criminels, permettra aux juridictions de prononcer la confiscation du patrimoine entier d’un condamné. Les membres et associés du crime organisé n’ont pas peur du passage par la case prison (qui est même parfois considéré comme un rite initiatique) mais ils craignent surtout d’être frappés au porte-monnaie. Il faut que l’adage « le crime ne paie pas » devienne une réalité.
Mais des problèmes continuent à perdurer dans divers domaines dont celui des « témoins de justice » (les « repentis ») qui a été si efficace contre les mafias italiennes. Il faut reconnaître que la structure très hiérarchisée des organisations criminelle italiennes permettait à des sources internes (les repentis) d’éclairer les autorités sur leur fonctionnement. Les bandes françaises sont beaucoup plus autonomes et fluides donc il est rare qu’un de ses membres ait une vision d’ensemble en dehors de son propre groupe.
La lutte contre le crime organisé ne devrait pas connaître de frontières, en particulier grâce à Europol et Eurojust mais la coopération interétatique doit être encore améliorée.
Enfin les criminels qui bénéficient de moyens financiers considérables dus à leurs trafics lucratifs savent utiliser toutes les failles des démocraties libérales pour contourner les obstacles.
Une expérience à suivre avec attention est celle que connaît actuellement le Salvador avec le président Nayib Bukele qui a décidé de mener une politique de répression extrêmement musclée contre les gangs criminels les plus redoutables de la planète : les Maras(1). Il semble que son action rencontre l’adhésion de la population salvadorienne puisqu’il a été réélu pour un mandat de cinq ans le 4 février avec 82% des voix (et 52% de participation.)
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