Depuis longtemps, la détérioration de la situation mondiale fait craindre que Téhéran ne relance son programme nucléaire militaire.

Dans les temps à venir, tout va dépendre des luttes d’influence qui vont avoir lieu après mort accidentelle du président iranien Ebrahim Raïssi (et dans une moindre mesure du ministre des Affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian) dans un crash d’hélicoptère près d’Uzi dans la province d’Azerbaïdjan oriental en Iran le 19 mai.

Toutefois, il convient de se rappeler que le rôle effectif du président iranien est limité. Toutes les décisions importantes sont prises par le Guide suprême de la Révolution, l’Ayatollah Ali Khamenei. Cela dit, ce dernier né le 19 avril 1939 serait de santé fragile…

Selon la Constitution iranienne, le vice-président, Mohammad Mokhber, assumera temporairement les fonctions présidentielles.

Un conseil composé de Mohammad Mokhber, du président de l’Assemblée, Mohammad Bagher Ghalibafet le président de la cour suprême, Gholam Hossein Mohseni-Eje’i, doit organiser de nouvelles élections dans les 50 jours.

Il était attendu qu’il y aurait une lutte de pouvoir féroce en Iran après la mort de l’Ayatollah Ali Khamenei. Mais le mouvement risque d’accélérer.

Différentes factions vont vraisemblablement s’affronter dont celle conduite par le fils du Guide suprême, l’Ayatollah Mojtaba Khamenei, enseignant en religion à Qom mais aussi proche conseiller de son père.

Enfin, il y a le peuple qui a été durement réprimé ces dernières années. Certains sont allés jusqu’à célébrer la disparition du président Raïssi – qui était considéré comme un dur du régime –  avec des feux d’artifice à Téhéran…

Et surtout, il convient de compter sur la puissance du Corps des Gardiens de la Révolution Islmaique (CGRI), les pasdarans qui noyautent toute la société iranienne.

Quid du programme nucléaire iranien ?

La question du développement d’un armement nucléaire est actuellement centrale pour les responsables iraniens qui y voient un moyen de survivre.

Robert Einhorn, ancien conseiller spécial du Département d’État pour la non-prolifération et la maîtrise des armements, maître de recherche au Centre pour la sécurité, la stratégie et la technologie de la Brookings Institution, pense que les décideurs iraniens voient probablement « à la fois les risques et les opportunités » lorsqu’ils regardent ce qui s’est passé au début du  XXIe siècle.

Ainsi, c’est sur des allégations de présence d’armes de destruction massive que les États-Unis ont envahi l’Irak en 2003. Si Saddam Hussein avait vraiment possédé l’arme atomique, il est vraisemblable que la situation aurait été différente.

La même année, deux autres pays avaient des programmes nucléaires militaires : la Libye et la Corée du Nord. Ils ont connu des sorts très différents.

Mouammar Kadhafi a accepté de fermer ses installations après un accord avec l’Occident. Sept ans plus tard, il a été renversé et tué lors d’une révolte soutenue – pour ne pas dire plus – par l’OTAN.

De son côté, Pyongyang s’est retiré du Traité de non prolifération (TNP) pour accélérer le développement d’armes nucléaires. À ce jour, la dynastie Kim est fermement installée au pouvoir et développe un arsenal de plus en plus avancé capable même de viser les États-Unis.

La « dissuasion » iranienne

L’Iran, pour sa part, possède déjà le plus grand arsenal de missiles et de drones au Moyen-Orient.

Par ailleurs, Téhéran a forgé des liens avec des acteurs principalement non étatiques connus sous le nom d’« Axe de la Résistance », un terme conçu pour répondre à ce que le président George W. Bush avait qualifié d’« Axe du Mal » regroupant à l’époque l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord dans la perspective de l’invasion de l’Irak.

Ces deux atouts dans les mains de Téhéran ont constitué le cœur de ses efforts pour établir une dissuasion « conventionnelle » crédible pendant des décennies.

Mais selon Robert Einhorn parlant de responsables iraniens : « jusqu’à présent, ils ont estimé que leurs capacités conventionnelles ainsi que les soutiens qu’ils reçoivent des proxies seraient suffisamment dissuasifs […] Mais maintenant, ils se trouvent dans une situation où ils risquent d’être confrontés à une attaque directe de la part d’Israël mais aussi peut-être des États-Unis. »

Einhorn précise : «  alors qu’avant, ils ont peut-être sentis que la stratégie régionale fonctionnait […] maintenant, ils voient les États-Unis chercher à rassembler une coalition de pays partageant les mêmes idées, y compris Israël, peut-être l’Arabie saoudite et d’autres États arabes du Golfe, l’Égypte, une coalition qui serait conçue pour contrer l’Iran et ses proxies. »

Toutefois, il convient de souligner que depuis plusieurs années, de nombreux pays de la région – dont l’Arabie saoudite – ont choisi d’améliorer leurs relations avec l’Iran et de ne pas suivre aveuglément Washington.

Si la République islamique persiste à croire qu’elle est confrontée à des menaces existentielles ou au moins à de graves défis qui ne peuvent pas être gérés par d’autres outils comme la diplomatie, cela pourrait conduire le pays à reprendre son effort nucléaire militaire.

Après les graves troubles qui ont entouré la guerre en cours à Gaza qui a provoqué le tout premier échange armé direct entre l’Iran et l’État hébreu, des personnalités iraniennes militent pour cela.

Il faut souligner que ce sont les pasdarans qui contrôlent totalement l’industrie nucléaire et missilière.

L’Histoire du nucléaire de l’Iran

Le programme a débuté dans les années 1950 sous le shah et ont continué à s’étendre après le renversement de la monarchie lors de la révolution islamique de 1979.

Après avoir succédé au fondateur de la République islamique, l’Ayatollah Ruhollah Khomeini, Ali Khamenei aurait émis une fatwa dans les années 1990 confirmée en 2003 puis en 2005 interdisant la production, le stockage et l’usage d’armes nucléaires et précisant que l’Iran n’acquerrait jamais de telles armes.

Mais en 2006, une décennie après que les États-Unis eurent déjà décrété des sanctions liées au nucléaire contre Téhéran, le Conseil de sécurité des Nations uniesa adopté les premières restrictions internationales contre l’Iran pour ses activités dans ce domaine.

Ces sanctions ont été brièvement diminuées suite à l’accord nucléaire multilatéral JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) signé à Vienne en 2015 (Iran, États-Unis, Chine, Russie, Allemagne, France, Royaume-Uni) sous l’administration de Barack Obama. En échange, l’Iran avait accepté de restreindre son développement nucléaire, particulièrement l’enrichissement de l’uranium.

Mais les États-Unis se sont retirés de l’accord sous la présidence de Donald Trump en 2018. Les sanctions reprenant, Téhéran a progressivement commencé à relancer son programme nucléaire.

Le président Joe Biden a bien tenté de reprendre des négociations dans le but de rétablir la participation de Washington à l’accord mais les pourparlers ont échoué à la fin de 2022.

Le conflit en cours à Gaza n’a fait qu’aggraver la méfiance entre les États-Unis et l’Iran.

Téhéran risque de changer de politique

Le chef de l’Organisation de l’énergie atomique iranien Mohammad Eslami et Rafael Grossi lors d’une conférence à Ispahan le 7 mai 2024.

À la suite de sa récente visite en Iran, le Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Rafael Grossi a averti que ce pays ne serait qu’à quelques semaines de la fabrication d’une arme nucléaire s’il choisissait de le faire. Mais il a précisé qu’il n’y avait « aucune preuve suggérant que l’Iran envisageait de passer, à un programme d’armement.»

De son ôté, la Mission iranienne auprès de l’Organisation des Nations Unies a déclaré : « … la doctrine nucléaire iranienne reste inchangée. L’Iran continuera d’adhérer à la fatwa du Guide suprême qui interdit sans équivoque la production, l’achat, le stockage et l’utilisation de toute forme d’armes de destruction massive. Toutefois, en cas d’attaque contre les installations nucléaires de l’Iran, qui font toutes l’objet d’une surveillance et d’une inspection par l’Agence internationale de l’énergie atomique, il existe une possibilité pour l’Iran de reconsidérer sa collaboration dans le cadre de l’Accord de garanties généralisées avec l’AIEA. »

Alireza Taghavinia, analyste de la sécurité basé à Téhéran, a souligné que seul Khamenei, en tant que principal juriste religieux de la nation, pouvait inverser la position du pays à l’égard des armes nucléaires. Cela pourrait se produire au cas où l’existence même de l’État serait considérée comme en danger.

Néanmoins, le porte-parole du Département d’État a noté que les responsables américains « continuent d’évaluer que l’Iran n’entreprend pas actuellement les principales activités qui seraient nécessaires pour produire un dispositif nucléaire expérimental. »

Où en est vraiment la technologie iranienne ?

Bien qu’Israël mène depuis des années une guerre secrète acharnée contre les programmes nucléaire et balistique iraniens à base d’opérations homo (assassinats ciblés) et arma (sabotages), certains analystes estiment que Téhéran est au « seuil » nucléaire.

Pour faire simple, ils auraient la « technologie » nécessaire à la réalisation de charges dont ils maîtriseraient maintenant l’amorçage, la miniaturisation, la résistance aux contraintes physiques et électroniques…

De plus, ils ont une série de vecteurs capable d’accueillir une ou plusieurs charges.

Raphael Grossi a tout à fait raison de dire qu’il leur suffit de quelques semaines pour rendre cette arme opérationnelle. Cela dit, ce serait un peu plus long pour bénéficier d’une force de frappe vraiment opérationnelle.

À n’en pas douter, ce sujet va être au centre même des préoccupations des futurs candidats à l’élection présidentielle iranienne même si cela ne sera pas évoqué en public. Pour la classe dirigeante, cela ne concerne pas le peuple iranien qui appelle à plus de libertés et à des améliorations dans sa vie de tous les jours. Par contre, cela intéresse au premier chef les mollahs car il en va de la survie de leur régime.

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Texte

Alain Rodier