Plus que jamais, la désinformation des toutes parts fait rage pour présenter la situation militaire en Ukraine. Il est devenu quasi impossible aux observateurs de donner des éléments tangibles car seules les propagandes russe et ukrainienne ont droit de cité.

Du côté russe, c’est le silence radio total sauf tout ce qui peut aller dans le sens de la propagande intérieure. Moscou ne tente même plus d’« influencer » l’extérieur tant cela lui semble inutile.

Du côté ukrainien, les journalistes étrangers sont désormais interdits d’accès en zone de front sauf autorisation exceptionnelle du chef des armées, le général Valeri Zaloujny…

Bien sur les deux partis ne publient pas les chiffres de leurs pertes, Kiev consentant uniquement à dire que les Ukrainiens ont dix fois moins de combattants neutralisés (tués ou blessés) que les envahisseurs…

Garder les chiffres secrets empêche toute estimation sérieuse du rapport de forces.

Les États-Unis avancent le chiffre d’au moins 17.000 militaires ukrainiens tués au combat. Un autre responsable a déclaré au New York Times que ce nombre pourrait atteindre 70.000.

Il n’en reste pas moins qu’un sujet encore plus secret est celui des chaînes sanitaires qui traitent les blessés du champ de bataille. Et pourtant, c’est un élément fondamental au soutien du moral des troupes. Savoir que l’on peut être évacué et sauvé en cas de blessure est sans doute l’argument principal qui permet aux combattants de « tenir » dans l’enfer des combats.

Mais sur le plan de l’information concernant le soutien sanitaire, du côté russe, c’est simple : rien ne filtre. L’Histoire peut juste nous apprendre que le sort des blessés n’a jamais été une priorité pour le commandement russe…

Du côté ukrainien, les autorités communiquent peu mais globalement, comme pour le reste du conflit, paraissent rester sereines.

À savoir que si Kiev demande à corps et à cris de nouveaux armements, le haut commandement ne semble pas avoir les mêmes exigences en ce qui concerne l’aide médicale.

Pourquoi l’Ukraine devrait-elle demander davantage de matériel médical, alors qu’il n’existerait pas « officiellement » de pénurie dans ce domaine ?

La générale de brigade Tetiana Ostachtchenko qui dirige les forces médicales ukrainiennes a déclaré dans une interview que les problèmes auxquels l’Ukraine est confrontée n’ont pas de précédent dans les temps modernes. Selon elle, aucun pays occidental n’a connu ce que connaît actuellement l’Ukraine. Elle reconnaît que « si des critiques (lui remontant) étaient constructives, sa réaction sera évidemment immédiate ».

D’ailleurs, avant 2017, il n’existait pas de « médecine militaire » en Ukraine. 650 médecins aux armées ont été formés en 2022 dans le seul centre de formation qui existe. Aujourd’hui, 300 personnels reçoivent une formation médicale de quatre semaines avant d’être expédiés au front.

Depuis février 2023, le Royaume-Uni a formé 17.000 militaires ukrainiens dont certains sont des médecins. Mais trop souvent, ces derniers sont formés à travailler avec des matériels occidentaux qui ne sont pas disponibles en Ukraine. De plus, la formation ne serait pas adaptée à la guerre de haute intensité actuellement en cours.

Pour pallier autant que faire ce peut ces manques , des ONG sont présentes sur le terrain mais le nombre de personnels étrangers serait en diminution…

De plus, le système sanitaire ukrainien serait délibérément visé par les frappes russes. Selon un médecin ukrainien : « si Volodimir Zelensky était dans une voiture et que nous étions assis dans une ambulance juste à côté, les Russes nous cibleraient en premier car nous sauvons des vies ».

Les drones russes suivraient particulièrement les mouvements des ambulances pour ensuite les attaquer. Près de 500 auraient ainsi été détruites. Les infrastructures hospitalières et médicales ukrainiennes auraient connu plus d’un millier d’attaques depuis l’invasion de février 2022.

Les difficultés de la chaîne sanitaire

Après avoir extrait les blessés des premières lignes, les longs trajets jusqu’à l’hôpital qui prennent parfois jusqu’à dix heures, peuvent être mortels. La disponibilité des premiers soins qui permettent de stabiliser les patients fait la différence entre la vie et la mort.

Les Ukrainiens pensaient jusqu’à présent  que leurs militaires bénéficiaient de la meilleure attention sanitaire. Mais la dure vérité est progressivement apparue : de très nombreux militaires blessés meurent à cause de déficiences de soins médicaux intermédiaires.

Selon un médecin de terrain, si la Russie est bien entendu la responsable des vies perdues dans cette guerre, il semble indéniable que la négligence des autorités ukrainiennes à l’égard des nécessités médicales entraîne un nombre de morts encore plus élevé.

En effet, ce problème semble superbement ignoré par la hiérarchie militaire qui se concentre sur l’approvisionnement en armes et sur la contre-offensive plutôt que de donner la priorité aux combattants blessés. Il semble que l’on retrouve là une constante du monde slave qui n’accorde pas à la vie humaine la même importance que ses homologues occidentaux.

L’Ukraine a besoin d’armes mais il existe également une demande moins médiatisée d’aide médicale, notamment de véhicules ambulances.

La bureaucratie entourant le processus de premiers secours serait responsable de nombreuses pénuries.

Par exemple, si une ambulance est détruite, elle n’est enregistrée comme hors d’usage qu’après une enquête officielle. Cela peut prendre jusqu’à six mois. Jusqu’à ce que les formalités administratives soient remplies, le véhicule reste inscrit uniquement comme « indisponible » dans les registres et n’est pas remplacé.

Il est courant de trouver des brigades militaires qui ont perdu 80% de leurs moyens de transport d’évacuation, mais qui ne peuvent pas être réapprovisionnés car le rapport officiel ne reconnaît pas les véhicules comme détruits.

Le même médecin déclare : « si un médicament est périmé, la procédure de radiation est si difficile qu’il est plus facile de constater qu’il a été détruit par un incendie ».

Un autre problème est que la corruption existe toujours en Ukraine. Un exemple en est la prolifération de fournitures médicales de mauvaise qualité utilisées pour soigner les blessés ukrainiens.

Il y a quelques semaines, le chef du département des achats du commandement des forces médicales ukrainiennes a été accusé d’avoir fourni aux forces 11.000 kits médicaux tactiques chinois non certifiés. Il a été allégué qu’il aurait attribué des contrats d’une valeur d’un million d’euros à une société cofondée par sa belle-fille et qu’il aurait tenté de faire passer les kits chinois pour des standards de l’OTAN. Il a fini par être licencié et fait désormais l’objet d’une enquête pénale.

Un autre exemple de corruption s’est produit l’année dernière à Lviv, où 10 000 kits de premiers secours tactiques d’une valeur de 500.000 € ont été envoyés par des volontaires américains puis ont mystérieusement disparu.

Le pire est que le commandement militaire peut très bien refuser d’accepter des fournitures étrangères s’il juge qu’il dispose d’alternatives…

Ainsi, des plaintes ont été déposées en première ligne concernant les garrots fabriqués en Chine qui perdent progressivement de la pression ou se détachent, entraînant de nouveaux saignements aux conséquences mortelles. Un garrot chinois ne coûte qu’un  €, tandis qu’un garrot ukrainien « Sich » coûte 10 €. Un authentique garrot américain coûte environ 25 €.

Quel qu’en soit l’issue, cette guerre de haute intensité (la première depuis 1945 en Europe) laissera dans les deux camps des séquelles énormes. En premier lieu, les nombreux morts dont on ne connaître les chiffres qu’après coup mais aussi tous les invalides de guerre sans oublier les traumatisés par les horreurs vécues.

À la reconstruction physique de l’Ukraine se superposera la reconstruction humaine et psychologique qui sera certainement la partie la plus compliquée du problème.

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Texte

Alain Rodier