Devant les difficultés rencontrées lors de l’« opération spéciale » déclenchée en Ukraine le 24 février(1), les services de renseignement britanniques ont relevé que le ministre russe de la défense Sergueï Choïgou avait annoncé le 17 janvier une transformation profonde des armées qui devrait se dérouler entre 2023 et 2026

Les effectifs seront portés à 1,5 million d’hommes – une augmentation de 11% par rapport à la précédente annonce de 1,35 million [en fait, Poutine avait signé en août 2022 un décret présidentiel portant les effectifs à 1,15 million au 1er janvier 2023 puis Choïgou avait annoncé le 21 décembre le chiffre de 1,5 million à atteindre. Il n’a fait que confirmer le 17 janvier ce qu’il avait dit précédemment (2)].

La question qui se pose est la suivante : ces nouveaux effectifs seront-ils constitués de volontaires ou de conscrits dont la durée de service est actuellement de douze mois? Étant donné le succès très mitigé des engagements, il semble qu’une solution consisterait à augmenter la longueur du service militaire tout en continuant à appeler sous les drapeaux à la même cadence (120.000 hommes sont appelés deux fois par an).

Le district militaire de l’Ouest doit disparaître et laisser la place à deux « nouveaux » districts : celui de Moscou et celui de Leningrad, organisation datant de l’ère soviétique.

Jusqu’en 2006, l’armée de terre russe comptait trois divisions blindées, seize divisions de fusiliers motorisés et six divisions mitrailleuse artillerie. Les niveaux de commandement s’étalaient entre le district militaire – l’armée – la division – la brigade. À l’époque, une grande réforme de simplification avait eu lieu visant à supprimer l’échelon division en ne gardant que les brigades.

Choïgou envisage de recréer ces divisions (il en restait sept) car l’expérience ukrainienne a démontré que les brigades n’avaient ni les effectifs ni la puissance de feu nécessaires pour manœuvrer avec efficacité dans une guerre de haute intensité. Après une période de guerres hybrides (Afghanistan, Géorgie, Syrie, invasion de la Crimée, Donbass – la Tchétchénie étant plutôt à classer dans une « guerre totale » mais avec contre un adversaire non conventionnels -)°, le concept du « rouleau compresseur » est de retour. Un des grands principe de cette stratégie, c’est que le commandement russe ne compte pas les pertes de l’adversaire qui doit être littéralement écrasé mais pas non plus dans son propre camp.

En outre, un nouveau corps d’armée sera créé en Carélie face à la Finlande, ce qui constitue une réplique à la candidature de ce pays (et de la Suède) d’intégrer l’OTAN.
Cela dit, les problèmes de recrutement, de formation, d’encadrement et d’équipement de ces nouvelles troupes ne seront pas simples à résoudre. La Russie qui a un immense territoire de plus de 17,2 millions de km2 n’a en fin de compte qu’une population de 146 millions d’habitants. Cela fait une réserve humaine disponible relativement limitée. Choïgou se donne trois ans pour y parvenir ce qui est vraisemblablement très optimiste. C’est le temps minimum qu’il faut pour former un officier d’infanterie s’il est recruté aujourd’hui, quant aux officiers de marine et aux aviateurs, c’est beaucoup plus long…

Toutes ces décisions démontrent que la Russie prévoit une persistance de la tension militaire « conventionnelle » qui ira bien au-delà du conflit ukrainien. Pour ceux qui en doutaient encore, le face à face Russie – pays occidentaux est bien de retour même si les effectifs n’atteindront pas ceux de la Guerre froide. La situation est aussi différente car la majorité des pays membres de l’ex-Pacte de Varsovie sont passés sous contrôle OTAN et des pays neutres sont en train de le faire (il y a peu de chances que la Suède y parvienne rapidement étant donnés les derniers évènements islamophobes – un coran brûlé devant l’ambassade de Turquie – survenus à Stockholm le 22 janvier 2023. Recep Tayyip Erdoğan fera barrage au moins jusqu’aux résultats de l’élection présidentielle turque qu’il a avancé du 18 juin au 14 mai prochain).

Mais cette nouvelle confrontation n’a pas lieu qu’en Europe. Il y a des années que Moscou mène des opérations hybrides pour s’opposer aux Occidentaux, en particulier sur le continent africain.
Sur le plan diplomatique, le Kremlin prépare l’organisation du deuxième sommet Russie-Afrique prévu en juillet 2023 à Saint-Pétersbourg. Dans cette perspective, Sergueï Lavrov a entamé le 23 janvier une tournée sur le continent africain (la deuxième depuis le début de la guerre en Ukraine) en débutant par l’Afrique du Sud.
Le premier sommet avait eu lieu à Sotchi en octobre 2019. 43 chefs d’État et de gouvernement étaient représentés. Cette réunion multilatérale, coprésidée par Vladimir Poutine et Abdel Fatah al-Sissi, avait permis de rapprocher les deux parties et de renforcer la coopération à différents niveaux.
Lors de la prochaine conférence – où les mêmes pays sont invités – Poutine a l’intention d’envoyer un message fort au monde et de réparer son image qui a été entamée par l’invasion de l’Ukraine.

Sur le plan des opérations hybrides, Wagner qui est à la manœuvre (mais pas uniquement cette SMP) s’oppose directement aux intérêts français mais aussi occidentaux.

On entendra certainement parler d’autres théâtres d’opérations extérieures russes dans les années à venir (pourquoi pas en Amérique latine où Moscou compte de nombreux alliés au premier rang desquels se trouve le Venezuela.

1. Voir : « Les manques des armées russes » du 18 décembre 2022.
2. Voir : « UKRAINE : l’année 2023 s’annonce difficile » du 22 décembre.

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Texte

Alain Rodier

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