Le 7 décembre, la police allemande a menée une importante opération contre la mouvance d’extrême-droite. Cette opération a engagé 3.000 policiers. Ils ont perquisitionné plus de 150 lieux dans plusieurs États fédéraux ainsi qu'à Kitzbühel en Autriche et à Pérouse en Italie.

Au printemps 2022, l’Office d’État de Hesse pour la protection de la Constitution avait eu connaissance d’un complot emmené par Heinrich XIII, prince de Reuss, entrepreneur immobilier à Francfort-sur-le-Main et propriétaire d’un pavillon de chasse à Bad Lohenstein. Il a été arrêté ainsi que 24 autres suspects. 27 autres personnes sont toujours sous le coup de l’enquête.

Heinrich XIII est considéré par le procureur fédéral comme la figure centrale du groupe « Reichsbürger » (le « mouvement des citoyens de l’Empire ») qui « envisageait de réaliser un coup d’état pour ramener un régime semblable à celui du « deuxième Reich ». Il s’agissait d’un empire fédéral marqué par la personnalité de Guillaume I er (1871-1888) puis de Guillaume II (1888-1918).
Après ce coup d’état, Heinrich XIII devait être nommé régent.

Le prince possède un pavillon de chasse néo-gothique « Waidmannsheil » à Saaldorf an der Saale où les « citoyens de l’Empire » se sont réunis à plusieurs reprises pour préparer leurs actions futures.

Reuss s’est aussi répandu dans des mythes à connotation antisémite à peine voilée. Pour lui, derrière des bouleversements comme la Révolution française se trouvaient des « représentants de la dynastie Rothschild » ; les États-Unis avaient « financé le régime hitlérien » ; des guerres ont été lancées « pour faire avancer la propagation de la population juive »… À cet antisémitisme il convient d’ajouter un complotisme maladif et une culture antivax assumée.
En juillet de cette année, le prince Heinrich XIV, qui est le porte-parole de la maison de Reuss, l’a décrit comme un « vieil homme confus » qui « est maintenant pris dans des idées fausses sur la théorie du complot ». Heinrich XIII a volontairement quitté la famille il y a 14 ans et en est désormais exclu en raison de ses « délires complotistes ».

Heinrich XIII aurait contacté des représentants de Russie via une jeune maîtresse, Vitalia B. pour obtenir son soutien. Toutefois, selon le procureur général, rien n’indique que les contacts russes aient réagi positivement à sa demande de « coopération ».

 

Le domicile de Mme Birgit Malsack-Winkemann, ancienne membre de l’AfD (l’Alternative pour l’Allemagne) du Bundestag situé dans le quartier résidentiel de Wannsee à Berlin a également été perquisitionné. Elle a été arrêtée par des membres de l’Office fédéral de la police criminelle.
Diplômée en droit et membre du Bundestag pour l’AfD de 2017 à 2021, elle était considérée comme faisant partie de « l’aile » extrémiste du parti. Après avoir quitté le Bundestag, elle est revenue au tribunal de district de Berlin en tant que juge. Selon le procureur général, elle devait devenir responsable de la justice après le coup d’état mené par le groupe « Reichsbürger ».

L’Office fédéral pour la protection de la Constitution surveillait ce groupe depuis le milieu des années 2010. Selon les services de renseignement intérieurs allemands (Bundesamt für Verfassungsschutz), environ 5% des 21.000 adeptes dénombrés en 2021 peuvent être classés comme extrémistes de droite. Mais globalement, ses membres ne reconnaissent pas l’État allemand et rejettent l’autorité du gouvernement. Il s’agit d’un ensemble disparate de groupuscules dispersés à travers le pays qui sont unis derrière cette croyance commune. Certains rêvent même de créer leur propre État autonome.
Le révisionnisme historique du mouvement fait de ses membres des alliés potentiels pour les groupes extrémistes de droite et antisémites en Allemagne.

Les autorités judiciaires allemandes soulignent également que « l’idéologie QAnon » a été une source d’inspiration importante pour le groupe. QAnon est une théorie complotiste qui prétend qu’un réseau d’élites libérales dirige le monde tout en trafiquant des enfants pour les abuser sexuellement et récolter des « produits chimiques de rajeunissement » de leur corps.
Cette théorie « satanique » est partie du continent nord-américain pour ensuite se répandre à l’étranger, en particulier el Allemagne où des sections du Reichsbürger lui ont fait le meilleur accueil, parfois en reniant leurs propres convictions.

L’interprétation particulière du groupe démantelé le 7 décembre semble avoir été que « l’État profond » gouverne l’Allemagne, mais qu’une « alliance » secrète comprenant à la fois les États-Unis et la Russie libérera bientôt l’Allemagne. Après cette « libération », l’Allemagne pourra négocier un « traité de paix » avec les membres de l’« ‘alliance » car une revendication clé du mouvement « Reichsbürger » est que l’Allemagne est toujours un pays occupé car il n’y a jamais eu de traité de paix formel signé avec les forces alliées après la Seconde Guerre mondiale.

Les membres du « Reichsbürger » apparus dans les années 1980 ont longtemps été considérés comme des cinglés mais la radicalisation de certains d’entre eux a progressivement alerté les services de sécurité qui étaient déjà sensibilisés par des affaires de droite extrême dans l’armée et la police. D’ailleurs, d’anciens membres du KSK, l’unité spéciale de la Bundeswehr « commando special forces », seraient également impliqués dans l’affaire.

Le 19 octobre 2016 a constitué un tournant dans l’évaluation de la dangerosité du mouvement. Un de ses membres a tué un policier du SEK (Spezialeinsatzkommandos , Commandos d’intervention spéciaux) à Georgensmünd en Bavière alors qu’il venait lui confisquer ses armes qui devaient lui étaient retirées par décision de justice.

L’objectif de ce groupe consistait à « renverser l’ordre étatique existant en Allemagne et de le remplacer par une autre forme de gouvernement qui avait été élaborée dans ses grandes lignes ». Pour parvenir à leurs fins, les activistes envisageaient « le recours à la force militaire et à la violence contre des représentants de l’État » allant jusqu’à « la commission d’homicides ».
Selon le procureur général, des membres de l’association auraient préparé une « une intrusion par la force du Bundestag allemand par un petit groupe armé ».
Il a également dévoilé qu’en octobre, des membres du groupe avaient fait des reconnaissances de casernes de la Bundeswehr en Hesse, en Bavière et dans le Bade-Wurtemberg « pour héberger leurs propres troupes ».

Berlin a classé ces dernières années l’extrême droite au premier rang des menaces potentielles à l’ordre public, même avant le risque jihadiste. Au printemps, un autre groupuscule d’extrême droite soupçonné d’avoir projeté des attentats et l’enlèvement du ministre de la Santé à l’origine des mesures de restriction anti-Covid, avait été démantelé.

Il convient de prendre toutes ces informations avec la prudence nécessaire. Si l’opération policière a effectivement bien eu lieu, il sera intéressant de voir ce que la justice allemande retiendra en final contre les prévenus. C’est surtout l’importance réelle du « complot » qui pose question.
Le président de l’Office fédéral de la police criminelle, Holger Münch, suppose que d’autres suspects seront arrêtés dans les jours à venir. Ni Münch ni le président de l’Office pour la protection de la Constitution, Thomas Haldenwang, ne doutent de la gravité des prétendus plans de coup d’état des « citoyens de l’Empire ». Haldenwang a même évoqué un « danger bien réel » émanant du groupe.
Le procureur fédéral Peter Frank a également souligné « Nous partons du principe que les personnes de l’association étaient déterminées à passer à l’action […] Il était donc juste d’agir maintenant et de mettre un terme aux activités du groupe ».

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Texte

Alain Rodier

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