Les dernières déclarations du président Vladimir Poutine attire toutes les discussions sur les plateaux de télévision, dans la presse écrite et parmi le monde politique. Ce babillage général occulte la question majeure : Poutine peut-il déclencher le feu nucléaire ? En effet, la question ne se pose pas pour les Occidentaux dont les doctrines d’emploi ne prévoient que des « deuxièmes frappes ».

Pour tenter de répondre à cette question fondamentale, il est utile de tenter de percevoir ce qui est dans la tête du président russe mais aussi, dans celle des dirigeants politiques qui ont la possibilité d’appuyer sur le bouton de l’Apocalypse.

Ceux qui ne l’ont pas doivent se contenter de mener une politique d’influence en direction de leurs grands alliés mais cela reste marginal dans la décision finale.

D’ailleurs, selon certains, le président Poutine est totalement « acculé » et en conséquence n’est pas en mesure de déclencher le feu nucléaire (dont Mme Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne…). Leur objectif est évident : rassurer leurs concitoyens en affirmant que les livraisons d’armes à l’Ukraine de plus en plus importantes n’auront pas de conséquences directes sur leur sécurité.
Ce constat ne paraît pas partagé, en particulier par le président Joe Biden qui est vraisemblablement bien informé car il bénéficie des services de renseignements les plus puissants de la planète. Dans une interview à la chaîne CBS il a déclaré (en parlant dune utilisation éventuelle de l’arme nucléaire ou chimique) « ne le faites pas, ne le faites pas, ne le faites pas ». Il a ensuite déclaré devant les Nations Unies : « Il est impossible de gagner une guerre nucléaire et elle ne doit jamais être menée ». Il semble bien avoir conscience que c’est parce que Poutine est acculé qu’il peut être tenté de déclencher les hostilités comme il l’a démontré précédemment en envahissant une partie de l’Ukraine. Il se sentait alors « acculé » par l’OTAN. D’ailleurs, il a précisé que : « si les intérêts de la Russie sont menacées, nous utiliserons toutes les armes à notre disposition » tout en assurant à deux reprises qu’il ne s’agit pas d’un « bluff ».
En effet, s’il prétend vouloir défendre les intérêts des citoyens d’origine russe vivant à l’Ouest (pays Baltes, Pologne, etc.) – ce qui est évidemment qu’un prétexte -, il semble que la survie de ses concitoyens en Russie n’a pas la même valeur à ses yeux que celle de la « Grande Russie » telle qu’il l’idéalise.

Sur le plan purement technique, il peut être donc tenté, non pas d’utiliser pas « l’arme nucléaire », mais « des armes nucléaires ».
Les premières dîtes « tactiques » seraient employées en salves sur le territoire ukrainien pour inverser le cours de la guerre. Ce n’est pas évident à mettre en œuvre car la doctrine militaire implique que ces tirs qui ébranlent sérieusement l’adversaire doivent être ensuite exploités par une charge blindée-mécanisée qui « termine le travail ». L’objectif final consiste à aller cueillir à la baïonnette le responsable ennemi pour l’obliger à signer la capitulation. Cette tactique est bien connue de l’Armée russe car héritée de l’Armée Rouge qui s’entraînait à conquérir l’Europe en trois jours…
Pour mémoire, même sans armes nucléaires, ce sont les Soviétiques qui sont parvenus jusqu’au bunker de Hitler à Berlin (certes avec l’accord des Américains qui avaient arrêté leur progression vers l’Est) l’obligeant à se suicider plutôt que de se rendre.

Conscient du fait que cette manière de procéder attirerait de toutes façons des réactions occidentales extrêmement importantes, Poutine peut également se dire que « pour le même prix et à titre d’avertissement », il ne cible aussi un ou plusieurs nœuds logistiques importants qui approvisionnent l’Ukraine en armements occidentaux, par exemple en Pologne.
Il prendrait alors un risque beaucoup plus grand car il y aurait automatiquement des victimes occidentales et certainement des Américains venus aider la résistance ukrainienne. L’Article V de la charte de l’OTAN prévoie un engagement automatique de tous les pays membres.

Et c’est que se pose la deuxième question fondamentale que personne ne semble vouloir aborder directement : que feraient les deux seuls responsables occidentaux ayant accès au feu nucléaire, les présidents américain et français (la Grande Bretagne et l’OTAN n’ont pas la « clef » et dépendent pour cela d’une autorisation venue de la Maison-Blanche).

Tous deux savent que s’ils répliquent, même de manière tactique, c’est-à-dire en bombardant les regroupements militaires russes engagés en Ukraine (et en tuant aussi collatéralement des citoyens ukrainiens), automatiquement une riposte russe d’un niveau supérieur aurait lien, par exemple en atomisant des groupes navals en Méditerranée.

L’enchaînement apocalyptique semble alors inévitable se terminant par des tirs pudiquement appelés « anti-cités » mais qui impliquent la disparition d’une partie des grandes agglomérations et de leurs habitants dans les deux camps.

Il est donc vraisemblable que les États-Unis et la France ne réagiront pas de manière apocalyptique à des frappes nucléaires russes tant que leurs « intérêts vitaux » ne seront pas directement menacés.
Mais le problème avec une force de dissuasion, c’est que le seuil de sa mise en œuvre reste secret. Seuls les présidents américain et français savent quand ils doivent la mettre en œuvre.

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Texte

Alain Rodier

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