La centrale nucléaire de Zaporizhzhya fait actuellement l’objet de toutes les peurs de la part de la communauté internationale. Il est donc utile de savoir quelle est la situation et quels sont les risques à venir.
Rafael Grossi, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) depuis décembre 2019, a fait part de son inquiétude après avoir visité au début du mois de septembre la centrale à la tête d’une mission de 14 inspecteurs de l’Agence : « c’est une situation insoutenable et de plus en plus fragile ». À noter que deux membres de l’AIEA sont restés sur place afin de poursuivre la surveillance en temps réel.
Il faut comprendre que si la mission première d’une centrale nucléaire est de fournir de l’électricité, elle en a aussi crucialement besoin pour assurer sa propre sécurité. De plus, il est impossible de l’arrêter rapidement.
Ainsi, Karine Herviou, la directrice de l’Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire français (IRSN) explique qu’« il n’est pas possible de tout arrêter, les assemblages de combustibles présents dans le cœur (NdA : des réacteurs) ou dans les piscines (NdA : où sont entreposés des combustibles usagés) continuent de dégager de la chaleur et doivent être refroidis pendant des mois voire des années ».
Les bombardements du 5 et 6 août 2022 d’un transformateur de la ligne électrique haute tension de 330 KV puis en septembre d’une station productrice d’azote à proximité des bâtiments de stockage de déchets radioactifs et enfin à côté de l’installation d’entreposage à sec de combustible usagé ont provoqué l’arrêt de deux des trois réacteurs qui fonctionnaient encore. Plus généralement, ce sont les lignes électriques reliant la centrale à l’extérieur qui avaient été ciblées.
Le réacteur « numéro six » qui était encore en fonctionnement assurait en circuit fermé la fourniture interne d’électricité nécessaire à sécurité de l’ensemble de la centrale. Il a été arrêté à son tour le 11 septembre à 03h40.
La décision de le mettre à l’arrêt a été prise quand l’approvisionnement électrique extérieur du site a été rétabli. En effet, deux lignes de secours, l’une de 330 KV et l’autre de 750 KV, sont de nouveau opérationnelles.
Mais en cas de nouvelles coupures des lignes de transmission reliant le site au système électrique les besoins internes (du site) devront être assurés par des générateurs fonctionnant avec du diésel.
À savoir qu’une vingtaine de générateurs fonctionnant au diésel prendraient le relai. Mais, selon le rapport des inspecteurs de l’AIEA du 6 septembre, leur autonomie n’est que de dix jours. Ils doivent ensuite être réapprovisionnés en carburant ce qui, en cette période de guerre, risque de se révéler très problématique.
L’opérateur ukrainien, Energoatom, « envisageait » depuis quelques temps de fermer le réacteur « numéro six ». Cela serait la conséquence des circonstances « dramatiques auxquelles sont confrontés les habitants d’Energodar » (NdA : plus l’électricité ni d’eau courante), le personnel ukrainien (qui y réside) nécessaire pour maintenir la sécurité du site n’était plus en mesure de travailler sereinement. Il a dénoncé également les violences auxquelles certains personnels auraient été soumis de la part des Russes.
Comparaison avec Tchernobyl
La centrale de Zaporizhzhya est de type « VVER-1000/320 » d’une puissance totale de 6.000 KW. Elle n’est pas semblable à celle de Tchernobyl. Si la température augmente, les réactions nucléaires diminuent. De plus, les enceintes de confinement sont plus vastes et plus importantes. Elles peuvent résister jusqu’à une pression de cinq bars.
Toutefois, selon des experts, même la mise en sécurité à froid des réacteurs risque de provoquer une usure plus rapide des mécanismes sollicités (exemple, le système de barres de contrôle composées généralement de 80% d’argent, 15% d’indium, et 5% de Cadmium) , de fortes variations de température dans le réacteur provoquant des contraintes mécaniques exceptionnelles, l’apparition de produits de fissions indésirables, des contraintes mécaniques induites (par exemple, dans la partie condenseur – mis à contribution pour évacuer la chaleur en excédent -, une sollicitation des tubes en cyclage thermique rapide ; dans la partie cuve, un gonflement des tubes de combustible par génération de produits de fission gazeux…).
Globalement, une centrale nucléaire n’aime pas être bousculée et tous les évènements imprévus peuvent conduire à une cascade de dysfonctionnements qui se termineraient en catastrophe. Cela peut aller de fuites localisées jusqu’à un nuage de type Tchernobyl. Les victimes seraient d’abord les personnels sur site – Russes et Ukrainiens – puis pour la ville voisine d’Energodar et enfin, suivant le sens du vent, les pays avoisinants dont la Russie.
En conséquence, l’AIEA dans son rapport estime que « la situation actuelle est intenable » et que « les bombardements sur le site et dans les environs doivent cesser immédiatement pour éviter de provoquer de nouveaux dommages aux installations ».
Elle appelle de ses vœux la mise en place d’une « zone de sécurité » c’est-à-dire une zone que les belligérants ne bombardent pas, ce qui ne correspond pas à la « démilitarisation du site » exigée par Kiev, par ses alliés occidentaux et par le secrétaire général des Nations unies.
La mission a bien constaté la présence de soldats et de matériel militaire russes en divers endroits de la centrale, dont des véhicules stationnés dans les salles des turbines.
La situation est à l’évidence dangereuse pour tout le monde. Moscou et Kiev tentant de l’utiliser à leur profit sans que l’on sache exactement ce qu’ils veulent faire et comment ils vont s’y prendre…
1 . Voir : « Brèves depuis l’Ukraine » du 10 août 2022
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