Selon le Général (général d’Armée) Sir James Hockenhull , directeur du renseignement militaire britannique pendant quatre ans (il a été promu en mai chef du Commandement stratégique de Grande Bretagne et Aide camp général de sa Majesté), ni la Russie ni l’Ukraine ne seront en mesure de remporter une action militaire décisive cette année. Il a aussi déclaré accorder une attention particulière à la capacité russe de l’emploi de l’arme nucléaire.

Il aurait été persuadé dès novembre 2021 que la Russie allait envahir l’Ukraine.
C’est lui qui aurait pris la décision une semaine avant l’attaque du 24 février 2022, de publier sur tweeter une carte décrivant les plans russes. Il pensait qu’« il est important de dire la vérité avant que les mensonges n’arrivent ».
Il défend la décision des Occidentaux d’alerter sur l’utilisation possible par la Russie d’armes chimiques et biologiques car cela aurait empêché Moscou de mener des opérations « sous faux pavillon » destinées à désigner les Ukrainiens et l’Ouest comme les instigateurs du conflit.
Il est d’ailleurs exceptionnel que l’exécutif britannique – en concertation avec son homologue américain – ait diffusé autant d’informations confidentielles. L’objectif de cette manœuvre psychologique semble avoir été double : préparer l’opinion occidentale au conflit et tenter (sans succès) d’empêcher le président Vladimir Poutine de réaliser ses plans les voyant découverts.

Le général Hockenhull reconnaît que le renseignement n’est pas une science exacte et que les prédictions s’appuient sur de nombreuses probabilités et qu’il a été surpris à plusieurs reprises.
. Il a été subjugué par la solidité des liens unissant les pays occidentaux et plus encore, par la volonté farouche du peuple ukrainien à se défendre face à un adversaire donné très supérieur militairement.
. Il a estimé que les capacités en commandement, en transmissions et logistiques de l’armée russe ont été selon son mot « pauvres » (en langage moins « gentleman » : nulles). Il attribue cela au fait que le politique est descendu du niveau stratégique qui est le sien à celui du tactique qui devrait être l’affaire des militaires. Il y a donc eu une mésentente profonde entre les responsables politiques et militaires russes. Ce qui a vraiment surpris le général, c’est la simultanéité de tous ces facteurs négatifs (pour la Russie).

Toutefois, il reconnaît qu’il convient de rester prudent avec le raisonnement « binaire » comme quoi un camp est en train de « gagner » ou de « perdre » la guerre.
Pour lui, la Russie tente maintenant de reconstituer ses forces après avoir souffert de pertes significatives. Elle redéploie des troupes depuis le Donbass (l’axe d’effort principal annoncé par Moscou) vers le sud car les Ukrainiens exercent une forte pression autour de Kherson parlant même d’« offensive ».
Mais pour l’ancien chef du renseignement militaire britannique, il est irréaliste d’attendre des changements décisifs dans le sud dans les mois à venir (contrairement à ce que dit le président Zelinsky). Il comprend bien la volonté de Kiev de reprendre du terrain mais il y aura alors des contre-attaques puis des contre-offensives, un cycle infernal dont aucun des deux camps ne tirera de profit décisif. En bref, il s’attend à un conflit de longue durée.

Un de ses soucis est que la doctrine russe prévoit l’emploi d’armes nucléaires tactiques dans le cadre du champ de bataille. Bien que le général Hockenhull ne pense pas que l’arme atomique va être engagée de manière imminente, il reste très préoccupé par cette possibilité qui bouleverserait totalement les opérations (1).

Sur le terrain

La base aérienne de Saki(2) située dans l’ouest de la Crimée annexée par la Russie depuis 2014 a été l’objets d’explosions le 9 août. Théoriquement, elle n’a tué qu’une personne mais aurait détruit huit avions militaires russes. L’Ukraine s’est bien gardé de revendiquer officiellement une opération militaire car Kiev sait que Moscou considère la Crimée comme faisant intégralement partie de la Russie. Une attaque sur cette région serait considérée comme une agression directe du territoire russe.
Moscou a affirmé qu’aucun de ses avions n’ait été atteint mais des photos aériennes semblent prouver le contraire (si elles n’ont pas été retouchées).


Image source, Planet Labs PBC

Image source, Planet Labs PBC

L’aviation de la Flotte de la mer Noire semble donc avoir été sérieusement étrillée après que son navire amiral, le croiseur Moskva, ait été coulé en avril vraisemblablement par deux missiles terre-mer Neptune ukrainiens (qui techniquement auraient aussi pu être employés contre la base aérienne de Saki).
Enfin, il reste le problème anxiogène de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia (la plus grande d’Europe). Les deux parties s’accusent de la bombarder (en réalité les abords et en particulier les lignes électriques qui y aboutissent). S’il est vraisemblable que les troupes russes utilisent es infrastructures pour y positionner des troupes et des armements, il est peu probable qu’ils s’auto-bombardent.

Seule bonne nouvelle, quatorze navires chargés de blé ont quitté les ports ukrainiens sans rencontrer de difficultés majeures. Curieusement, il n’ait fait écho nulle part des exportations russes

Les questions posées actuellement sont plus nombreuses que les réponses.
. Pourquoi le président Poutine semble plus faire effort contre son opposition intérieure qui est sans défenses que contre ses « adversaires » extérieurs ? N’est-il pas sûr de sa base de soutien ni de ses proches ?
. L’incompétence de l’armée russe est bien décrite par les Britanniques. Est-elle dans une certaine manière feinte Moscou qui compte sur l’usure de ses adversaires ?
. La prolongation de la question précédente : combien de temps va tenir l’alliance occidentale de soutien à l’Ukraine lorsque les contrecoups des sanctions vont frapper les populations européennes (à partir de l’automne), donc les électorats ?
. Même question pour le peuple ukrainien actuellement uni contre l’agresseur russe ?

L’auteur continue de penser que l’on se dirige vers une situation « à la coréenne » : pas de paix signée depuis 1953 et une ligne de démarcation verrouillée. Plus globalement, vers la création d’un nouveau rideau de fer séparant la Russie de l’Occident. Ces deux blocs se tiendront à l’abri de leurs parapluies nucléaires respectifs.
Ailleurs, des conflits d’influence tournant parfois à des guerres par procuration verront le jour. C’est un stupéfiant retour en arrière vers les années 1950 que les générations futures auront à gérer sur des décennies. Même les relations entre Moscou et la Corée du Nord reviennent sur le devant de la scène suivant l’adage « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ».
Le trouble fête va être la Chine. Et là, au moins sur le plan économique (c/f carte ci-dessous), les États-Unis n’ont plus l’avantage.

1. L’emploi tactique d’armes nucléaires du champ de bataille par les Russes consiste à effectuer une salve de tirs dirigés contre des points vitaux et des concentrations militaires ennemies. Ces frappent doivent être exploitées immédiatement par des offensives généralisées du corps blindé/mécanisé qui est chargé de « terminer » l’adversaire l’obligeant à capituler.
2. Voir « Brèves depuis l’Ukraine » du 10 août 2022

Publié le

Texte

Alain Rodier

Photos

DR