Selon la presse espagnole, Moscou a désigné Alexander Bastrykin, un policier, criminologue et juriste russe comme procureur en charge des crimes commis en Ukraine, en particulier à Boutcha où au moins 400 corps de civils retrouvés après le départ des troupes russe et à Kramatorsk (bombardement de la gare). Mais en fait, il n’est pas chargé d’enquêter sur les crimes de guerre russes mais sur les « fake news » accusant l’Armée russe de ces mêmes crimes…

Il doit aussi enquêter sur la mort d’une femme à Marioupol « aux mains de nationalistes ukrainiens » ; sur l’existence alléguée d’une prison contrôlée par le bataillon Azov où seraient incarcérés des opposants pro-russes et sur l’utilisation alléguée d’armes biologiques par l’Ukraine.

Ancien employé à la Mairie de Saint-Pétersbourg quand Poutine y était (1991-1995), Bastrykin est ensuite devenu, en 2007 Président de la Commission d’Enquête de la Fédération de Russie. Mais problème, depuis 2022, il figure sur une « liste noire » d’une cinquantaine de noms du Parquet anti-corruption espagnol qui identifie des proches du crime organisé russophone dans le pays(1).
Pour mémoire, l’Espagne est un des pays européen les plus apprécié par le crime organisé international et tout particulièrement par les « Vory v Zakone » russes.

Bastrykin aurait discrètement soutenu le boss du gang « de Tambov » (Tambovskaya), Gennady Petrov arrêté en juin 2008 (mais en fuite depuis) lors de l’opération de police « Troïka » alors menée en Espagne. Après une enquête de plusieurs années(2), vingt suspects russes avaient été arrêtés puis jugés lors d’un maxi-procès.

C’est dans le cadre de ces enquêtes que les autorités espagnoles avaient eu l’attention attirée par un enregistrement daté du 22 juin 2007 qui détaille une conversation entre le boss Petrov et son principal lieutenant, Leonid Khristoforov. Les deux mafieux évoquaient la nomination de Bastrykin à la Commission d’Enquête, le jour-même :
. Petrov : « L’homme a été nommé. Je t’en ai parlé, tu te souviens ? Alors c’est fait, il a le poste. Un poste très pertinent aussi »…
. Khristoforov : « Oh, super ».

Bastrykin a ensuite maintenu ses contacts avec le gang de Tambov par l’intermédiaire du général en chef de la direction principale du Ministère russe de l’Intérieur, Nikolai Nikolaevich Aulov, et d’un haut fonctionnaire du bureau du procureur, Igor Sobolevsky figurant tous les deux la « liste noire » espagnole.

Lors d’une autre conversation (enregistrée) entre le boss Petrov et le général Aulov, ce dernier l’informe qu’une équipe de 30 officiers va enquêter sur les activités de Vladimir « Kumarin » Barsukov, le parrain d’une organisation mafieuse rivale à Saint-Pétersbourg. Deux mois plus tard, Kumarin – à la grande satisfaction de Petrov – est effectivement arrêté puis condamné à 14 ans de prison en 2009 pour fraude et à 15 ans de prison en 2012 pour extorsion. Exit la concurrence sur Saint-Pétersbourg !

En mars 2009, le Procureur Général de Russie de l’époque, Youri Chaika, se rend à Madrid et demande aux juges espagnols les informations qu’ils pouvaient détenir sur le général Aulov et sur Igor Sobolevsky. Le Procureur Chaika a ainsi pu bloquer la carrière du général et Sobolevski a été démis de ses fonctions.
Mais Bastrykine jugé très proche du président Poutine n’a pas été inquiété.

Dans le cadre des sanctions décrétées contre la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine, tous les services de police occidentaux tentent d’évaluer comment les mafias russes vont s’adapter à la nouvelle donne.
Si dans un premier temps, les restrictions de déplacements et de financements constituent une gêne extraordinaire pour ces dernières les empêchant de poursuivre leurs juteuses affaires avec leurs homologues occidentales, elles ont toujours fait preuve d’une grande capacité à se transformer.
Il semble évident que les trafics illégaux vont considérablement augmenter vers les pays de la Fédération de Russie et qu’il y a là des entrées d’argent à exploiter. Il est vraisemblable que le crime organisé russe se tourne désormais plus vers d’autres partenaires dont les triades chinoises et le crime en col blanc très présent au Proche et Moyen-Orient. Cela dit, il reste aussi les zones grises à exploiter : Afrique et Amérique latine. Bien sûr, il convient de ne pas oublier l’Inde qui a un potentiel économique énorme, un gouvernement « ami » de Poutine et une criminalité organisée très bien structurée.

1. C’est aussi le cas pour les États-Unis depuis 2017 et pour la Grande-Bretagne depuis 2020 mais ces mesures semblent plus « politiques » que relevant du droit commun.
2. À noter que l’ancien membre du KGB et opposant à Poutine, Alexandre Litvinenko, qui a été assassiné à Londres avec du polonium-210 en 2006 avait apporté son aide discrète aux enquêteurs espagnols pour qu’ils comprennent le fonctionnement du crime organisé russe.

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Alain Rodier

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