Le 17 janvier, trois camions-citernes ont explosé « près des réservoirs de stockage d’ADNOC », la compagnie pétrolière d’Abou Dhabi, entraînant la mort de travailleurs étrangers (un Pakistanais et deux Indiens) et faisant six blessés. Selon les autorités, un « incendie mineur » s’est déclenché dans « la nouvelle zone de construction de l’aéroport international d’Abou Dhabi ». Le mouvement rebelle yéménite Ansar Allah (les Houthis) a déclaré que quatre missiles de croisière Quods 2 avaient visé la raffinerie de pétrole de Musaffah et l'aéroport d'Abou Dhabi et un missile balistique Zulfiqar celui de Dubaï (ce dernier n’a pas été cité par les autorités de Dubaï). Des drones Samad 3 auraient également été lancés. En tous cas, cette attaque est la première à faire des victimes humaines sur le territoire émirati.

Certes, ce n’est pas la première action menée par les Houthis contre les intérêts des EAU. Ainsi, le 3 janvier, ils s’étaient emparés un cargo émirati « Rwabee » au large du port de Hodeïda à l’ouest du Yémen(1). En 2016, le catamaran HSV-2 Swift exploité par la National Marine Dredging Company enregistrée aux EAU, avait été gravement endommagé par un missile anti-navire (vraisemblablement de type Noor). D’autres actions – qui n’avaient pas causé de victimes – avaient été revendiquées par les Houthis mais n’avaient pas été reconnues par les EAU.

L’image des EAU et de son économie est très liée au fait qu’ils sont (faussement) considérés comme relativement étrangers aux conflits proche-orientaux. Les attaques de navires n’avaient pas réellement terni cette image car personne n’y avait vraiment prêté attention. Mais cette attaque qui a causé mort d’hommes revêt une toute autre importance.

Tout le monde se rappelle que les Houthis avaient revendiqué en 2019 l’attaque du site pétrolier d’Abqaid en Arabie saoudite déjà à l’aide de missiles de croisière et des drones. L’analyse technique de ces opérations avait démontrée qu’elles ne pouvaient provenir que de l’Iran ou/et du sud irakien – ou encore, mais beaucoup moins probablement, de navires croisant dans le Golfe persique -. Ce qui avait impressionné, c’était la précision des tirs.

Il suffit de regarder une carte pour s’apercevoir que les territoires tenus par les Houthis à l’ouest du Yémen sont bien éloignés des EAU alors que l’Iran qui soutient les rebelles est juste de l’autre côté du golfe Persique. Il est donc possible que Téhéran ait « rendu service » à ses alliés houthis ajoutant à la confusion dans la région.

Cette fois, la communauté a condamné dans son ensemble ce bombardement. Cela a été le cas par le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, par les alliés des Émirats (Arabie saoudite et Bahreïn), par l’Irak et par tous ses « clients » dont la France.

À noter qu’un accord de défense existe entre les deux pays depuis 2009 et, qu’en conséquence, le risque d’être impliqué directement dans ce conflit n’est pas totalement exclu. Pour rappel, aux Émirats arabes unis, les forces françaises sont présentes sur la base aérienne 104 à al-Dhafra, sur le port de Mina Zayed et ont un groupement tactique interarmes (GTIA)  basé à Zayed Military City. De plus, personne n’oublie qu’en décembre 2021, le gouvernement émirati a passé une commande à Paris de 80 Rafale et 12 hélicoptères Caracal pour la somme de 16 milliards d’euros…

 

Alors, pourquoi ce bombardement ?

 Depuis 2021, les Houthis étaient à l’offensive dans les gouvernorats de Ma’rib et de Sabwah repoussant les forces gouvernementales du président Abdrabbo Mansour Hadi (personnellement réfugié à Riyad) et présentant un risque de couper le gouvernorat d’Abyan de celui d’Hadramaout. Cela aurait été catastrophique pour les forces du « Conseil de transition du Sud » (CTS), successeur du mouvement séparatiste d’Aden « Al-Hirak » soutenu depuis 2015 par les EAU.

 

Ces derniers ont pris le parti des sudistes (contre l’avis de Riyad) pour faire barrage aux Frères musulmans du parti Al-Islah très influent dans le gouvernement Hadi.

Les Sudistes tiennent les gouvernorats de Lahij et d’Abyan au sud-ouest du pays et l’île de Socotra.

Bien que les Émirats aient rapatrié la plupart de leurs forces terrestres présentes au Yémen, ils continuent à soutenir la « brigade des Géants », une unité constituée à partir de milices sudistes et d’anciens des forces spéciales yéménites. Cette brigade qui dit appartenir à l’armée légaliste mais est constituée majoritairement de séparatistes sudistes, a lancé une contre-offensive fin 2021/début 2022 qui a chassé les Houthis de la région de Shabwah et bloqué leur avance dans celle de Ma’rib.

Furieux, ces derniers ont voulu riposter en frappant le sol des EAU et en menaçant de renouveler les attaques de ce type dans l’avenir. Il n’est pas exclu qu’ils fassent aussi appel à l’« arme terroriste » dans l’avenir. Il convient de se rappeler qu’ils sont anti-Occidentaux en général et antisémites.

Aujourd’hui, les Houthis sentent moins le « vent de la victoire » étant bloqués sur leurs positions. Mais la « Brigade des Géants » ne va pas pouvoir continuer à tenir le terrain éternellement d’autant que des dissensions risquent d’apparaître rapidement avec le gouvernement légal d’Hadi. De son côté, l’aviation saoudienne multiplie les raids aériens sur Sanaa et sur les zones tenues par les Houthis.

Conclusion : la guerre va perdurer sans résultats significatifs et l’insécurité sur zone devrait augmenter, en particulier pour le trafic maritime.

1.Voir : « mer Rouge. Les Houthis s’emparent d’un navire des Émirats arabes unis » du 5 janvier 2022.

2. Voir : « Yémen. « Arabie saoudite redéploie son dispositif militaire » du 18 novembre 2021.

 

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