La communauté internationale n’a rien épargné à la Libye depuis avoir poussé à la destitution du fantasque (et criminel) colonel Kadhafi en 2011.

Après une période de calme relatif, le pays a plongé dans la guerre civile dont il n’est pas parvenu à sortir. L’ONU tente bien trouver des solutions qui, pour l’instant n’aboutissement pas tant les intérêts des protagonistes et des différentes puissances sont divergents. Toutefois, très discrètement depuis le fin 2020, l’ONU tente de faire bouger les lignes sans trop alerter l’opinion internationale.

La dernière initiative est celle du 5 février 2021 à Genève où 74 « délégués » sélectionnés par l’ONU dans le cadre de son « Forum de dialogue politique libyen » (Libyan Political Dialogue Forum, LPDF)(1) ont élu quatre personnalités chargées de diriger un nouveau gouvernement intérimaire. Le mécanisme pour désigner le premier ministre ainsi qu’un triumvirat – le « conseil présidentiel » comprenant un représentant de chacune des trois provinces – avait été proposé par l’ONU comme moyen d’aider la Libye à sortir de la guerre civile.

Mohamed el-Menfi (55 ans) ancien ambassadeur de Libye en Grèce succède à Fayez el-Sarraj comme président du conseil présidentiel. Il a réservé une de ses premières visites au maréchal Khalifa Haftar (photo à gauche) ce qui a provoqué un tollé de protestations.

Le premier ministre désigné est Abdel Hamid Dbeibah, 62 ans (photo de droite) personnage richissime extrêmement polémique qui est visé par une enquête de … l’ONU pour corruption. La rumeur court qu’il serait soutenu discrètement par les Frères musulmans, ce qu’il dément énergiquement.

Le 10 mars, un Gouvernement d’Unité nationale (un nouveau « GUN ») a finalement été reconnu par les différentes parties avec deux vice-Premiers ministres et 33 ministres. Étant donné le nombre important de ministres, il semble évident que le but n’est pas d’avoir un gouvernement réellement opérationnel mais dans lequel la majorité des factions est représentée. D’ailleurs, il doit gérer les affaires courantes et préparer les élections générales qui devraient se tenir le 24 décembre. Elles pourraient être repoussées à une date ultérieure en cas de difficultés majeures.

Aujourd’hui, aussi bien les forces militaires turques (militaires, services secrets, société militaire privée -SMP- SADAT) dans le nord-ouest que le contingent russe (militaires, GRU et SMP dont le bien connu groupe Wagner) au centre échappent au contrôle des Libyens. Mais depuis la fin 2020 les fronts se sont stabilisés les combattants adoptant des positions défensives et leurs places fortes (des aéroports). Le calme relatif en résultant a permis aux Nations unies d’encourager l’annonce de plusieurs cessez-le-feu et de vraiment lancer le processus confié au Forum de dialogue politique libyen (LPDF) à l’automne dernier.

Quelques jours avant le vote du 5 février, l’ambassadeur américain auprès de l’ONU avait bien appelé la Russie, la Turquie(2) et les Émirats arabes unis à cesser leur ingérence militaire en Libye. Bien évidement, aucun des intervenants n’a obtempéré. Contrairement aux Émirats dont le mobile principal est idéologique(3), la Russie et la Turquie souhaitent maintenant récolter les bénéfices économiques de leurs actions militaires sous la forme d’importants contrats dans les domaines de l’énergie et du génie civil (Moscou lorgne toujours sur la base navale en eaux profondes de Tobrouk). Pour cela, le nouveau gouvernement libyen aura du mal à éviter une hausse brutale des dépenses publiques et la « paix sociale », pour le pas dire la « paix » tout court n’est pas garantie.

Beaucoup s’attendaient à ce que le premier ministre soit Fathi Bashagha, 58 ans, également originaire de Misrata et ex-ministre de l’intérieur dans l’ancien gouvernement de Tripoli (officiellement reconnu par la communauté internationale). En 2019-2020, lorsqu’il est apparu que l’intervention militaire de la Turquie allait bouleverser la donne en repoussant l’offensive du maréchal Haftar, Bashagha avait tendu la main à Aguila Salah Issa, le président de la Chambre des représentants depuis août 2014 installée à Tobrouk. Bien que ce dernier appuyé par l’Égypte, ne se soit jamais opposé au maréchal Haftar, il était considéré comme un interlocuteur valable.

Il est compliqué de prévoir ce qu’il va se passer en Libye. Les élections de décembre devraient apporter un début de réponse dans la mesure où elles pourront se tenir de manière correcte ce qui est plus que douteux à l’heure actuelle. L’ONU joue sur le fait qu’un calme relatif est revenu mais dans les faits, la Libye est désormais solidement séparée en deux entités, l’une au nord-ouest soutenue par la Turquie, le Qatar et les Frères musulmans, l’autre à l’est et au sud sous la houlette du maréchal Haftar qui bénéficie de l’appui de la Russie, des Émirats arabes unis, de l’Égypte … et donc de l’Arabie saoudite.

Curieusement, les salafistes-jihadistes ne semblent pas tirer leur épingle du jeu dont le grand désordre qui est la règle en Libye devrait leur profiter. La raison tient sans doute aux populations qui ont aujourd’hui surtout des préoccupations de vie, voire de survie locale et pas de mener le jihad planétaire.

1. Cet organisme est apparu e septembre 2019 à l’initiative de Stephanie Williams, la représentante spéciale de l’ONU pour la Libye. Des réunions se sont tenues en particulier en Tunisie puis à Genève fin 2020 pour aboutir à la mi-janvier 2021 au début du processus qui devait conduire à la désignation d’un gouvernement intérimaire. Théoriquement, il regroupe toutes les parties et prépare des élections générales programmées pour le 24 décembre 2021.
2. Le Qatar participe au financement des forces turques mais ne semble pas avoir d’homme armé sur le terrain.
3. Les EAU qui apportent un soutien financier et aérien au maréchal Haftar se sont joints à l’Égypte pour contrer l’influence des Frères musulmans.

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Texte

Alain Rodier

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