Un célèbre sicario colombien surnommé « el Cucho » âgé d’une cinquantaine d’années s’était retiré en Espagne il y a une dizaine d’années après une carrière de tueur bien remplie en Amérique latine. Les autorités locales le soupçonnent d’avoir été le responsable et parfois l’exécutant de dizaines de meurtres. Il avait fini par obtenir la nationalité espagnole et vivait avec femme et ses deux enfants dans une luxueuse villa de la ville madrilène de Villaviciosa de Odón. Détail curieux, il avait aménagé tout le premier étage avec des autels dédiés à Nuestra Señora de la Santa Muerte (« Notre dame de la Sainte Mort »), une image pseudo-religieuse très vénérée par les criminels en Amérique latine. La superstition et la religiosité ostentatoire sont des constantes au sein des mafias et autres cartels.

Bien qu’ayant accumulé un important pactole durant sa première vie en Colombie, il avait remis le couvert en Europe car ses besoins financiers étaient immenses. Ainsi, deux véhicules BMW X6 ainsi que les nombreux bijoux, montres, vêtements et chaussures de luxe stockés à son domicile ont été saisis. Par contre, prudent, il n’avait pas acheté la maison dans laquelle il vivait préférant la louer 3.000 euros/mois. De plus en plus, les grands truands ne possèdent plus de biens personnels car une des sanctions les plus en vogue à l’heure actuelle est la confiscation de biens d’origine douteuse par la justice.

Grâce à des renseignements concernant des mouvements financiers douteux entre le continent américain et Madrid fournis par le Drug Enforcement Administration (DEA) américaine, la Guardia Civil espagnole a lancé l’opération « Burlero » en 2018.

Elle a découvert qu’El Cucho avait monté une sorte de « société de services » chargée de recouvrer les dettes contractées par des criminels européens qui s’étaient fait livrer de la drogue par des cartels latino-américains mais qui tardaient à payer leurs factures. Pour cela, les hommes d’El Cucho ont largement recouru aux menaces et aux extorsions. Il semble qu’El Cucho n’intervenait pas personnellement directement mais sa réputation au sein de la pègre était telle que ses hommes obtenaient relativement facilement gain de cause. La collaboration d’Europol, l’organe chargé de faciliter les opérations de lutte contre la criminalité au sein de l’Union européenne, a permis de détecter des activités du groupe s’étendant jusqu’aux Pays-Bas. Cela n’est pas étonnant quand on sait que les deux points d’entrée principaux de la drogue latino-américaine en Europe sont, d’un côté le Portugal et l’Espagne, de l’autre les Pays-Bas. Selon les enquêteurs, cette « société » n’intervenait que pour des dettes approchant ou dépassant le million d’euros de manière à obtenir de substantielles commissions évaluées à dix pour cent des sommes récupérées.

Suite logique à ces activités, El Cucho se serait également aussi spécialisé dans le blanchiment d’argent sale en Europe, les fonds venant majoritairement du continent américain, mais plus particulièrement de Colombie et du Pérou (les cartels de Cali, du Golfe et le groupe Los Urabeños auraient été clairement repérés).
Il a été arrêté en octobre 2020 mais cela n’a été rendu public qu’à la mi-janvier 2021 de manière à pouvoir identifier les collaborateurs et les contacts de sa « société ». C’est ainsi qu’en plus de son épouse, trois de ses proches et sept hommes de main ont été appréhendés dont des Colombiens, des Vénézuéliens et des Espagnols. Des suites devraient avoir lieu dans toute l’Europe. Lors des perquisitions, des armes de poing ont été découvertes dont plusieurs au domicile d’El Cucho. En fait, ce n’est pas l’arrestation qui lui faisait peur mais une éventuelle vengeance pour ses actes commis dix ans plus tôt en Colombie. D’ailleurs, il prenait des mesures de protection individuelles drastiques, ne sortant que très peu de son domicile qui était protégé par plusieurs portes blindées. Ses enfants fréquentaient une école privée et toute sa famille avait reçu des « instructions » pour faire face à une intrusion violente. D’ailleurs, lorsque la Guardia Civil a fait irruption à son domicile, les membres de sa famille étaient dans des cachettes prévues à l’avance et lui – s’étant rendu compte qu’il s’agissait des forces de l’ordre -, n’a opposé aucune résistance tout en restant très calme.

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Texte

Alain Rodier

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