Les premières leçons tactiques des combats menés par Daech dans les villes irakiennes et syriennes commencent à émerger. Elles pourront être utilisées lors de futurs combats du même type.
Lorsque Daech commença à reculer en 2015 après avoir remporté des victoires éclairs sur le front syro-irakien, le « calife » Abou Bakr al-Baghdadi ordonna à ses forces de se préparer à une défense farouche des grandes villes du « proto-Etat islamique ». Toutefois, il savait que le combat était perdu d’avance, étant donné la disproportion des forces engagées. En conséquence, il a aussi préparé le retour de son organisation à la clandestinité qui lui permettrait de poursuivre la guerre de manière non conventionnelle – ce qui est en train de se passer aujourd’hui.
Toujours est-il qu’il est intéressant d’étudier comment se sont passés les combats de rues, afin d’en tirer les leçons pour des conflits à venir. Robert Postings1, qui a publié une intéressante étude cette année, souligne que Daech a utilisé les mêmes méthodes lors de la bataille de Marawi, aux Philippines, qui a duré du 23 mai au 23 octobre 2017. Elle a vu la neutralisation d’un millier d’activistes affiliés (plus ou moins directement) à Daech et d’un nombre non déterminé de civils, le pouvoir en place ne souhaitant pas une véritable transparence dans ce domaine.
Une longue préparation
L’organisation terroriste n’a pas été surprise par les offensives des différentes coalitions, aussi bien en Irak qu’en Syrie, car elles avaient été annoncées bien longtemps à l’avance. Ainsi Daech a eu tout le temps de s’organiser, de stocker vivres, médicaments, armes et munitions, et de préparer le terrain. Déjà, si l’on excepte le sud de Damas où les activistes salafistes-djihadistes étaient encerclés depuis des mois, les abords des autres localités ont été aménagés : des tranchées ont été creusées, et des bâtiments ont été rasés afin de dégager au mieux les angles de tir. Toutefois, les défenses avancées de Mossoul et de Raqqa se sont révélées bien trop étendues pour freiner sérieusement l’avancée des adversaires répondant au vieux classique de l’arme du génie : un obstacle n’est vraiment efficace que s’il est battu par des feux.
Les barrages se sont montrés plus efficaces à l’intérieur des villes, même s’ils étaient assez aisés à dégager avec des bulldozers, de l’artillerie ou des frappes air-sol. Ce qui a gêné la progression des assaillants, c’est – comme dans toute grande bataille dans les localités – les destructions dues aux tirs massifs d’artillerie et d’aviation : il n’y a pas meilleure citadelle qu’une ville détruite !
A certains endroits, notamment à Damas, Daech avait pendu verticalement de grandes toiles goudronnées pour masquer les vues adverses. Ce procédé a aussi été utilisé pour dissimuler véhicules et positions de tir, d’autant que les capteurs thermiques étaient rendus beaucoup plus inopérants par ces bâches étanches. A Raqqa et à Mossoul, ce sont de simples draps qui ont été tendus au-dessus des rues pour masquer les mouvements à l’aviation. Des incendies ont également été volontairement allumés pour retarder la progression des forces adverses. L’emploi de leurres a également été utilisé pour attirer les tirs ennemis ; de faux blindés en bois ont été ainsi retrouvés.
Une fois les combats engagés, Daech a surtout cherché à ralentir la progression des forces ennemies. Très peu de cas de résistance ferme « jusqu’à la dernière cartouche » ont été répertoriés. Les forces attaquantes ont été harcelées par des tireurs embusqués (il n’y avait pas que des « snipers » rendus populaires par les médias), par des VBIED2 (vehicle-borne improvised explosive device) et par des drones. Les obstacles, très souvent piégés, étaient battus par des feux prenant à partie les personnels, mais aussi les points faibles des véhicules de l’adversaire comme les radiateurs. Le but était de les obliger à s’arrêter pour réparer, ou à les faire évacuer. Daech engageait l’adversaire au plus loin afin de minimiser l’efficacité des tirs de riposte et ainsi préserver au maximum la vie de ses combattants3. Dans ce but, grâce à de simples bricolages, Daech a aussi mis en œuvre des armes déclenchées à distance en utilisant des caméras pour guider les tirs. Il a été abondamment fait usage de missiles antichars (un peu moins à Raqqa car les Forces démocratiques syriennes [FDS] engageaient peu de blindés4), de mortiers, de canons sans recul, de mitrailleuses lourdes, etc.
Attaque aux drones armés
Si, dans le passé, Daech avait déjà utilisé des drones pour des reconnaissances et des opérations de propagande, il les a employés à partir du début de la bataille de Mossoul le 17 octobre 2016 (elle se terminera le 10 juillet 2018) comme armes offensives capables de lâcher de petites charges explosives. A noter que, le 2 octobre 2016, deux peshmergas irakiens avaient été tués alors qu’ils inspectaient un drone piégé. Deux membres des forces spéciales françaises du CPA 10 avaient été grièvement blessés à cette occasion.
Ce qui fut réellement une surprise, ce fut l’abondance des vols : les drones de Daech effectuaient parfois jusqu’à 70 sorties par jour ! Leur mission consistait à harceler l’adversaire, à lui interdire l’accès à des positions intéressantes, comme les toits de certains immeubles élevés, mais aussi à accompagner des actions offensives au sol.
Daech avait divisé ses troupes en groupes de combat de 10 à 12 activistes équipés, en sus des armes individuelles, d’une mitrailleuse légère et d’une arme antichar. Ils se déplaçaient à travers un réseau de passages préalablement creusés dans les habitations et en sous-sol. Des abris pouvant servir d’aires de repos ou de postes de commandement étaient aménagés en différents endroits. De plus, certains tunnels débouchaient sur les arrières de l’adversaire, ce qui permettait de mener des contre-attaques par surprise5. Cela a constitué un problème majeur pour les assaillants qui se sont retrouvés parfois, à leur tour, assiégés. Dans tous les cas, ils ont eu beaucoup de mal à reprendre la position. Surtout, cela leur a coûté de nombreuses vies humaines, sans compter la baisse de moral que cela provoquait systématiquement.
Bien qu’en position défensive, Daech a continué à utiliser des véhicules (dont des motos) pour se déplacer rapidement. Sur certains d’entre eux, des armes lourdes avaient été installées. Cela permettait de mener des actions de type « hit-and-run », tout en préservant un maximum de matériels. Ces véhicules étaient camouflés jusqu’au moment de leur utilisation.
Une détermination
jusqu’au-boutiste
Comme d’habitude, les populations civiles ont fréquemment été employées comme boucliers humains, pour éviter les tirs de l’artillerie ou de l’aviation ennemie. Cela a été particulièrement dramatique durant la bataille de Mossoul, car les rebelles ont été volontairement encerclés sans que la possibilité de négocier pour s’échapper leur ait été proposée, ce qui a été la règle dans d’autres villes. Le commandement irakien a estimé qu’il convenait de neutraliser définitivement les rebelles plutôt que de les laisser se réorganiser en Syrie voisine d’où ils seraient revenus tôt ou tard pour menacer de nouveau Bagdad. Les estimations les plus optimistes des pertes civiles sont de 10 000 morts, mais ce chiffre est vraisemblablement sous-évalué.
A bien y regarder, une similitude est à observer avec les militaires nippons durant la Seconde Guerre mondiale. La détermination jusqu’au-boutiste et la sauvagerie de ces combattants sont similaires. Une différence toutefois, certains Japonais se suicidaient plutôt que d’être faits prisonniers. Or, le suicide en tant que tel est formellement condamné par l’islam, surtout celui pratiqué par les salafistes-djihadistes6.
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ASSHC
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