RAIDS a pu partager le quotidien des légionnaires à Ménaka, dans une des zones les plus dangereuses du Mali. IED, roquettes, mais aussi moustiques et mouches cantharides rythment les journées et les nuits ; de quoi fournir du travail aux équipes médicales présentes.
Ménaka, au sud de Gao, dans le Liptako, est un des « villages » – en fait, une grosse ville d’environ 20 000 âmes – sur le chemin de la RN20. Un axe baptisé sans détour « la route de la mort ». La ville elle-même vient juste de sortir d’une période ultra-violente qui la faisait ressembler, dit-on, à une sorte de cité du Far West. Les règlements de compte et vols avec violence se poursuivent, à un rythme présenté comme désormais « plus faible ».
Les Français se sont installés là il y a quelques mois dans une BLAT, une base logistique interarmées. Comme une FOB afghane, avec les mêmes bastion walls, des cages métalliques remplies de pierres et de sable, mais avec moitié moins de monde. L’ancien chef de corps du 2e régiment étranger de parachutistes (REP), commandant le groupement tactique désert infanterie (GTDI) Altor, reste évasif sur le nombre d’occupants, d’autant qu’ils « changent tous les jours ». En fait, tous les jours, des moyens entrent et sortent, selon les besoins d’un énième épisode de l’opération Koufra, qui mobilise à la fois le GTDI et le groupement tactique désert blindé (GTDB) formé autour du 1er régiment de hussards parachutistes (RHP). Chacun occupe son compartiment de terrain, poussant les groupes armés terroristes (GAT) l’un vers l’autre au gré des événements.
Et dès que l’un ou l’autre acquiert un renseignement fiable, il l’exploite d’un coup sec. Car, comme l’explique aussi le colonel Jean de Monicault, l’ennemi est « fugace ». La gestion du temps est primordiale. Ainsi, sur un renseignement, le REP ira dans la nuit du 8 au 9 septembre dans Ménaka pour interpeller cinq individus suspects (et n’en gardera que trois apparemment, selon un bilan diffusé très tardivement, le 20 septembre, par l’état-major des armées à Paris). Dans un des sites visités par le GTDI, on trouvera apparemment plusieurs téléphones. Quelques jours plus tard, récidive dans la même zone, avec cette fois deux autres interpellés. Le 20, à Paris, le porte-parole de l’EMA évoquera une opération de ciblage du réseau logistique de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), groupe affilié à Daech.
Entre deux opérations, les légionnaires et ceux qui les appuient (cavaliers du 1er RHP, sapeurs du 17e régiment de génie parachutiste [RGP], transmetteurs, spécialistes du renseignement) luttent contre les moustiques, donc le paludisme et la dengue (qui provoquent tous les deux de fortes fièvres), et les conséquences de conditions hygiéniques assez précaires. Vu de Paris, le sujet pourrait presque faire ricaner.
Mais sur le terrain, les cas s’empilent vite à l’infirmerie, qu’on appelle rôle 1. C’est à la fois un gros cabinet de médecine générale et un centre d’urgence pour accueillir les cas graves, qui demandent parfois une évacuation immédiate. Signe que la perception de tous ces risques est forte à Ménaka, la BLAT dispose d’un Puma Medevac (et de deux Tigre) malgré un éloignement relatif de Gao : une heure vingt de vol en hélicoptère. Moins en Casa Nurse, qui viendrait de Gao et se poserait sur un terrain sommaire en latérite, qui doit à chaque fois être sécurisé.
Chaque minute est précieuse
Le combat pour la vie se gagnera parfois en minutes, l’état-major n’a donc pas lésiné pour ne pas les perdre. Quelques heures avant notre arrivée, une « Chicom » s’est abattue sur le camp voisin de la MINUSMA, le 3 septembre. « La première est tombée à 4 h 20 du matin, suivie rapidement d’une deuxième puis d’une troisième et d’une quatrième », raconte le médecin-colonel Luc, un ancien du 2e REP, désormais posté au 1er régiment étranger (RE). « Tout le monde a pris ses dispositions pour s’abriter [dans les VAB notamment, car il n’y avait pas encore d’abris collectifs sur la BLAT]. En tant que médecin-chef, je suis parti au CO [centre d’opérations] pour rendre compte et pour avoir la situation, tandis que le rôle 1 se préparait à prendre en compte des patients [cette réactivité est permise par le fait que le personnel médical dort à proximité immédiate du rôle 1]. Il a fallu 20 minutes environ pour avoir la certitude qu’il n’y avait pas de blessés dans le camp français. Par contre, un Français travaillant pour l’ONU [en fait, un ancien militaire de l’Armée de l’air] est arrivé à l’entrée du camp. Il avait été touché dans le CORIMEC où il travaille et vit, et touché une deuxième fois en en sortant. Il présentait plusieurs éclats [qui s’avèreront provenir de son CORIMEC] et une plaie [sans doute un morceau de roquette]. On lui a fait un fast écho pour voir s’il présentait des plaies internes, mais ce n’était pas le cas. » Une fois allongé et l’adrénaline tombée, la douleur a augmenté. Il a alors été pris en compte par Guillaume, un médecin arrivé cette année au REP, qui a enlevé les éclats et soulagé sa douleur, pendant que les deux PECC (patient evacuation coordination cell) français à N’Djamena et de la MINUSMA à Gao se concertaient par téléphone pour voir comment prendre en charge le blessé. Finalement, le VABSAN l’a transporté jusqu’au Puma Medevac de Ménaka. Il a été accueilli, après 80 minutes de vol au rôle 2 de Gao, et opéré le lendemain.
Pendant notre séjour, des « Barkhaniens » déboulent les uns après les autres au rôle 1 pour des causes de palu ou de dengue, des piqûres de mouches cantharides (qui projettent un produit acide sur la peau, occasionnant des brûlures au 3e degré), des petits bobos (plaie au bras), une angine. Mais les forces armées maliennes (FAMa), les locaux employés par la force Barkhane ou ses sources peuvent aussi y être accueillis. Ainsi, un interprète du groupement renseignement multicapteurs (GRM) est-il pris en compte pour une fièvre, qui ne s’avèrera pas être paludique. Un blessé par balle est aussi arrivé la veille de notre départ. C’était l’heure des pâtes spécialement concoctées à la sauce tomate par l’auxsan du GRM pour tous les soignants du camp (ce soir-là, encore une quinzaine avant le départ du lendemain) quand le message pré-annonciateur est tombé pour préchauffer l’équipe. En quelques secondes, la tablée s’est vidée, et le rôle 1 s’est apprêté à prendre en compte le Malien. La mobilisation est assez spectaculaire et la concentration totale tranche avec l’ambiance détendue il y a encore quelques minutes.
Pas moins de trois médecins vont être à l’œuvre, avec trois infirmiers et plusieurs auxsan, pendant plusieurs dizaines de minutes. L’homme dit avoir été attaqué la veille par des « coupeurs de route » à moto. À ce stade, impossible de savoir si c’est la bonne version. Par contre, il présente une belle plaie suturée à la main droite, et une autre dans le dos. Mais l’hôpital de Ménaka a laissé en prime une balle de Kalachnikov dans le corps du blessé, estiment les médecins français, il faut donc rouvrir. À force d’exploration au doigt et par le Vscan manié par le médecin Guillaume, puis de formulation d’hypothèses, le médecin-chef conclut qu’elle s’est logée dans les masses lombaires. Ce qui sera confirmé le lendemain au rôle 2 de Gao par le scanner.
Le colonel Luc discute avec le PECC de N’Djamena. Les deux estiment qu’en cette heure (20 heures), l’état du blessé ne nécessite pas de « scrambler » (faire décoller) le HM Medevac de Ménaka.
En fait, on le saura le lendemain, une opération va se dérouler dans la nuit avec plusieurs VAB, ce qui peut nécessiter le maintien à poste du HM, au profit du Casa Nurse Medevac, qui viendra en milieu de journée de Gao.
Analyse d’ambiance
Pendant que les légionnaires s’affairent pour une opération à l’objet non dévoilé, nous partons pour une mission civilo-militaire pilotée par le major S. Ce roc qui a traversé les opex (Mauritanie, Côte d’Ivoire, etc.) est adjoint de la compagnie d’administration et de services (CAS) à Calvi.
Ici, il a été bombardé chef d’équipe. Son bagout et sa bonne humeur, avec un air paternel, le prédestinent à ces missions de contact avec la population. Il manie la baguette devant les deux équipes CIMIC pour livrer les fondamentaux de la patrouille à venir, qui sera menée à deux PVP (petit véhicule protégé), chacun équipé d’un TOP MAG58 et d’un VABSAN coincé au milieu. Il faut passer à l’hôpital de Ménaka, puis dans une école (privée) qui forme les médecins. C’est le médecin Guillaume qui sera à la manœuvre pour la partie médicale, avec l’infirmier N., un « Gaulois » de 36 ans que le médecin-chef du rôle du GTD-I décrit comme rien de moins qu’un des meilleurs de la Légion étrangère.
Le major rappelle les dangers de l’itinéraire, ainsi que la posture à adopter vis-à-vis de la population : « Dès qu’on débarque, on enlève le casque, et on met le béret. C’est comme cela que les civils nous identifient. » Quelques cas non conformes engloutis, et le PVP, piloté par un Biélorusse, boxeur aux derniers JO, s’ébranle pour Ménaka. Le major assure la navigation sur une mini-tablette, tout en maniant le tourelleau téléopéré 7,62 mm.
À l’arrière, un capitaine promu, sur le théâtre, chef de section à la compagnie d’appui (CA) et chef du DLEO (détachement de liaison environnement opérationnel). La CA est venue avec la section mitrailleuses (la sienne), mais sans les tireurs d’élite, actuellement déployés en… Nouvelle-Calédonie. Comme les autres personnels, il a été formé à sa spécialité au Centre interarmées d’action sur l’environnement (CIAE) de Lyon.
« Quatre ou cinq patrouilles CIMIC sont réalisées par semaine, explique le capitaine, pour récupérer des données atmosphériques d’acceptation de la force », et éventuellement du renseignement exploitable pour action. La perle dans l’huître, mais pas venue sur ce mandat, reconnaît le major. « Systématiquement, je mets les FAMa en avant sur nos missions », nous explique-t-il aussi, mais elles ne sont pas de la partie sur celle-ci, montée spécialement pour nous. « Mon prédécesseur, issu de l’EMIAFE [état-major interarmes des forces et d’entraînement] de Creil, les a mentorés. »
Ce renseignement d’ambiance fait de petits riens observés ou retirés de conversations parfois banales deviendra ensuite un renseignement exploitable et montrera aussi la voie à des projets CIMIC futurs.
Ceux-ci sont systématiquement des projets visibles, qui changent la vie de la population et y associent les entrepreneurs locaux. Ainsi, la CIMIC vient d’inaugurer un château d’eau lié à une pompe qui va traquer l’eau sous terre. Elle participe, avec Électricité du Mali et la MINUSMA, à un projet pour apporter la lumière dans Ménaka, où il peut s’avérer dangereux de se risquer la nuit. 300 lampadaires à électricité solaire ont commencé à y être installés depuis l’été. Barkhane se charge de la logistique depuis Bamako. 150 équiperont Ménaka (dont l’école) et 150 éclaireront les villages environnants. Pour l’instant, Ménaka a le statut officiel de village, avec un gouverneur, interlocuteur des Français. « Les projets portent sur les infrastructures, l’eau, l’énergie », résume le chef d’équipe venu lui du CIAE de Lyon, et porteur d’une tarte de chasseur alpin… « On a aussi été facilitateur pour apporter la 4G d’Orange à Ménaka [opérationnelle depuis trois jours avant notre patrouille] car quand les jeunes sont occupés, ils ne font pas de bêtises. On a pu apporter les antennes, par exemple. On diffuse aussi des programmes sur des radios partenaires », vieux ressort des activités du CIAE, comme RAIDS les avait décrites il y a quelques années, en face de la Libye et au Sahel. Et les CIMIC permettent aux Maliens de les écouter sur des postes radio à manivelle et énergie solaire.
Le sport est un autre ressort bien connu des ACM. « La France, championne du monde ! » tonne le chef d’équipe CIMIC en lançant un ballon neuf aux gamins qui ne cherchaient plus vraiment à jouer avec l’ancien modèle qui avait un peu souffert. De quoi permettre à l’infirmier de démontrer ses talents de footballeur avec les enfants.
En patrouille avec le 1er RHP
À nouveau très loin des opérations du 2e REP, nous nous retrouvons dans un VABSAN du rôle 1, au cœur d’une patrouille menée par le peloton du 1er RHP présent à Ménaka. En temps normal, le VABSAN ne sort pas avec le peloton, pour ce type de patrouille quasi quotidienne. Le véhicule sanitaire se niche dans le convoi, ouvert par un VBL, fermé par un autre, avec l’AMX10 devant nous.
Plusieurs points nécessitent autant d’arrêts, systématiques. Il s’agit, explique le sous-officier chef de char, de prendre contact avec des alliés. À chaque fois, le contact tourne un peu court, et le dialogue est toujours un peu le même. On sent les autochtones, comme les Afghans en leur temps, assis sur un mur, avec la capacité de tomber d’un côté (les GAT) ou de l’autre (l’administration de Bamako). Ou de rester sur le mur, à voir qui va finalement gagner. Bref, la moisson de renseignement est faible. Sur une partie du parcours, les deux VBL vont en ville tenter d’autres coups de sonde, très loin de nos yeux, pendant que l’AMX10 et le VABSAN viennent au contact d’un poste des FAMa qui surplombe la ville sur une grosse dune. L’AMX10 reste prudemment à mi‑pente, car il n’a pas la pêche pour monter jusqu’au sommet.
Un sous-officier malien accueille les Français, mais le petit groupe semble manquer de tout. Et ne cache pas recevoir parfois des tirs, sans pouvoir précisément les localiser.
Sécuriser le terrain sommaire
Les occupants de la BLAT sont responsables des postes de garde, occupés sur un point haut et des miradors en bastions walls parsemant le périmètre. Mais ils doivent aussi se charger de sécuriser le terrain sommaire en latérite à quelques kilomètres de là, lorsqu’un avion se présente.
L’aérodrome figure sur toutes les bonnes cartes locales, mais ici, évidemment, pas de tour de contrôle ni de pompiers. Et encore moins de grillage. Seuls des « Barkhaniens », qui vont se poster aux endroits névralgiques, pour éviter qu’un habitant de la région ne se trouve malencontreusement au mauvais endroit au mauvais moment sur les quelque 1 350 m de bande utilisable.
Afin de minimiser leur exposition au risque de tirs adverses, les avions (Transall, C-130J et Casa Nurse) effectuent un impressionnant atterrissage grande pente. Après leur demi-tour, les avions de transport déchargent et chargent leur fret et leurs passagers, avant de repartir en rase-mottes à grande vitesse (là aussi pour éviter d’éventuels tirs). Avant leur séjour, c’est un JTAC qui leur a donné les bonnes informations pour assurer le poser en sécurité. Dans leurs véhicules, tout autour du terrain, les « Barkhaniens » seront restés vigilants, prêts à ouvrir le feu.
Avant, la 13e DBLE
Avant les opérations du 2e REP, c’est la 13e DBLE qui a assuré un gros effort dans le Liptako et au Niger (deux opérations). L’effort a été d’autant plus efficace qu’il a été réalisé avant la saison des pluies. Deux opérations de 40 jours ont notamment été menées depuis Ménaka, promue base avancée du mandat. L’essentiel de l’activité aura été effectué hors des agglomérations, et de nuit, en s’adaptant au rythme opérationnel des GAT. Par exemple, le repos était pris entre midi et 15 heures, quand, traditionnellement, il ne se passe rien. Le COMGTIA a injecté des pisteurs locaux issus des FAMa dans chacune de ses compagnies. Il a aussi utilisé un groupe d’appui à l’engagement débarquement (GAED), commandé par un capitaine, en pointe des opérations. Ce GAED de 12 hommes, l’élite du régiment, était en quelque sorte une petite OMLT (unité de mentoring) pour la compagnie des FAMa présente dans la zone. Et, explique-t-on, les résultats sont tombés, pour autant qu’on laisse les FAMa opérer à leur façon et à leur rythme.
Le GTIA était formé de deux compagnies de combat de la 13e DBLE, d’un peloton du 1er Spahis, d’un peloton du 1er REC, d’une compagnie sur VBCI du 2e REI. Comme le GTDI Altor, il disposait d’appuis, notamment d’équipes du CPA 30 et du GRM.
Le mandat aura connu 11 blessés, dont neuf à Tombouctou (parmi lesquels deux graves, toujours accueillis dans un hôpital parisien).
L’essentiel des mouvements a été réalisé en débarqués, avec une partie de l’équipement Félin.
Dans l’autre GT, mené par le 1er Spahis, on se souvient de l’attaque subie par un blindé (deux morts et plusieurs blessés dont le chef de corps). Le régiment a aussi reçu des roquettes sur sa base de Kidal, occasionnant quatre blessés parmi les officiers, qui ont dû être évacués.
Le groupement tactique logistique Dragon qui opérait à la même époque a parcouru, pour sa part, 8 156 km en 87 jours de convois, acheminé 1 300 tonnes d’eau, réparé 389 véhicules. Ses membres provenant de plus de 100 unités différentes.
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Jean-Marc TANGUY
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