Les chasseurs alpins français comptent dans leurs rangs plusieurs sections de tireurs d’élite et de commandos de montagne formés pour engager des objectifs à longue distance. En dehors des compétences qui caractérisent le profil de cette spécialité, les hommes de la 27e brigade d’infanterie de montagne (BIM) sont également entraînés pour progresser, se camoufler et neutraliser des cibles en haute montagne dans des conditions extrêmes.
L’Armée de terre aligne actuellement un contingent d’environ 500 tireurs d’élite (TE) répartis dans les différents régiments et bataillons d’infanterie. Il y a deux ans, la doctrine d’emploi des TE a été remaniée et les sections tireurs d’élite longue distance (TELD) ont été reconstituées. Depuis cette période, les unités disposent au sein de leurs effectifs d’une section spécialisée dans le tir longue distance, chargée d’appuyer les troupes sur le terrain. Chaque section regroupe quatre sous-officiers et environ 22 militaires du rang. Pour les sous-officiers chargés de l’encadrement de ces unités, la réactivation des sections TELD a été une bonne chose. Cela a, entre autres, permis d’homogénéiser le niveau des personnels. Les TE ont ainsi pu bénéficier d’une instruction adaptée et ils participent dorénavant à des séances d’entraînement spécifiquement montées pour coller à leurs besoins1.
Les sections TELD œuvrent, aujourd’hui, au profit de l’ensemble des éléments du régiment ou du bataillon. Leur rôle est de mettre à disposition des troupes engagées en opérations extérieures une ou plusieurs équipes autonomes pendant plusieurs jours, plusieurs semaines ou plusieurs mois. Ces équipes peuvent être intégrées, en fonction des besoins, à un groupement tactique interarmes (GTIA), un sous-GTIA, une compagnie ou un simple détachement. Les sections TELD sont actuellement articulées autour d’une cellule de commandement qui regroupe huit militaires (un chef de section, un adjoint, un équipage et un groupe de tir) et six équipes autonomes. Chaque équipe autonome aligne, pour sa part, un chef de groupe, un observateur et un tireur armé d’un PGM Hécate II.
Progresser, se camoufler et observer
Les chasseurs alpins interviennent principalement en milieux montagneux et dans des zones difficiles d’accès. Le franchissement d’obstacles naturels est leur spécialité. Les conditions extrêmes hivernales obligent souvent ces combattants à mettre en œuvre des techniques de progression, d’insertion et de camouflage spécifiques pour s’infiltrer discrètement et atteindre leur objectif. Dans ce domaine, les tireurs d’élite des sections TELD de troupes de montagne excellent. Ils sont formés pour se déplacer à ski durant des heures et pour traverser des passages escarpés et enneigés. Tout au long de leur mission, les TE doivent faire preuve de discrétion et d’autonomie. Ils évoluent parfois à découvert, en forêt et sur des flancs de montagne à fort devers. Ils doivent faire attention aux traces laissées par leurs skis, pour ne pas être repérés, savoir se déplacer de nuit avec leurs JVN dans un milieu enneigé, prendre en compte les aléas de la météo, et être capables de s’orienter sans GPS avec une visibilité dégradée dans des zones où il est impossible à des véhicules de soutien d’intervenir. La maîtrise des techniques d’insertion et de camouflage prend ici tout son sens. Pour se fondre dans le paysage, chaque membre de l’équipe autonome porte sur lui une ghillie, des vêtements adaptés au froid, et de quoi tenir plusieurs heures à poste pour observer un objectif et fournir des informations à l’échelon supérieur.
Pour le tireur d’élite, l’ouverture du feu n’est pas une fin en soi. La plupart du temps, les équipes autonomes sont chargées d’effectuer des missions de renseignement et de sûreté au profit d’éléments « amis » présents sur zone. Le tir de neutralisation ne représente en fait que 10 % des missions qui leur sont assignées. Lorsque l’ordre de faire feu est donné par le commandement, l’équipe autonome met alors tout en œuvre pour porter un coup au but dès le premier tir. Ce qui n’est pas une mince affaire lorsqu’il est nécessaire de neutraliser une cible à plusieurs centaines de mètres de distance, en montagne et par fort devers. Tous les facteurs influent de façon importante sur la trajectoire balistique du projectile. Les températures négatives, les vents irréguliers, le site et l’altitude constituent des facteurs importants pour effectuer des réglages fins. La pression barométrique, l’humidité relative et la chute de neige jouent également un rôle important sur la précision du tir. Anticiper tous ces phénomènes nécessite donc une bonne pratique. C’est pourquoi les TE de la 27e BIM ont pris pour habitude de s’entraîner régulièrement dans des conditions extrêmes afin d’optimiser leurs chances de neutraliser un objectif du premier coup en opération.
La formation des tireurs d’élite
Avant d’intégrer la section TELD d’un régiment ou d’un bataillon, il faut au préalable être breveté et être admis au stage de tireur d’élite. Pour cela, chaque militaire du rang passe par différentes phases d’évaluation afin de déterminer son potentiel et sa capacité à remplir les missions dévolues à cette spécialité. Les postulants se soumettent pour cela à une série de tests physiques et psychotechniques, durant trois à quatre jours (marches chronométrées, jeu de Kim, tir, course d’orientation, test d’infiltration, tests écrits, marche commando…). Il faut généralement avoir effectué le stage de tireur de précision (TP) et afficher une ou deux années d’ancienneté avant de poser un dossier de candidature. Les qualités pour intégrer la section TELD sont très diverses. Il faut être bon tireur, maîtriser la topographie, être un fin observateur, être rustique et endurant, disposer d’une très bonne condition physique, avoir l’esprit de groupe, être capable de prendre des initiatives et maîtriser l’ensemble de ses sens. Entre trois et six tireurs sont, chaque année, sélectionnés au sein des bataillons et régiments afin de renforcer les effectifs et pallier le turnover de personnel.
Une fois retenus, les apprentis TE démarrent leur ⇐
formation initiale quelques mois après les phases préliminaires de sélection. Celle-ci dure cinq à six semaines. Durant le stage de formation, le combattant s’approprie le PGM Hécate II, étudie la balistique, le combat tactique, les techniques de camouflage et le travail en équipe autonome (trois personnes). A l’issue de cette période initiale, le TE est en mesure d’intégrer la section TELD. Il dispose alors de tous les outils nécessaires pour être déployé en opération. Les mois passés sur le terrain permettront ensuite au tireur de forger son expérience et ses savoir-faire. Les TE les plus expérimentés ont la capacité, deux ou trois ans après avoir été brevetés, de prendre la fonction d’observateur (ou spotter). Ce dernier sera alors chargé d’identifier les objectifs et de calculer tous les paramètres de tir au profit du servant FR 12,7.
Le but ultime pour un TE est de pouvoir devenir chef de groupe au bout de six ou sept ans de pratique. Il devra, pour cela, suivre une formation complémentaire qualifiante à l’Ecole de l’infanterie. Un chef de groupe est capable de diriger une ou deux équipes autonomes sur le terrain. En opex, celui-ci est chargé de définir la stratégie de positionnement des TELD et de proposer des solutions tactiques au commandant du détachement présent sur place. Le chef de groupe a également la capacité de diriger des tirs d’artillerie sur des positions ennemies, en cas de besoin.
Certains sous-officiers très expérimentés peuvent également prétendre à un poste de chef de section après une quinzaine d’années de service. Ils doivent alors suivre un stage technico-tactique de quatre semaines à Draguignan avant de pouvoir commander une STELD. D’autres deviennent instructeurs de niveau régimentaire et suivent une formation de 3e niveau à l’Ecole de l’infanterie, dans le Var.
L’armement en dotation
Au sein de la section TELD, les équipes autonomes sont constituées autour de trinômes. On trouve un chef d’équipe, un observateur et un tireur FR 12,7. Ces derniers sont armés de PGM Hécate II, de FR-F2 ou de HK417 et de Famas ou de HK416. Chaque militaire dispose également d’un pistolet Pamas en double dotation. Le PGM Hécate II est aujourd’hui l’unique fusil en calibre 12,7 x 99 mm en dotation dans les sections de tireurs d’élite de l’Armée de terre (hors forces spéciales). Cette arme a été conçue à la base pour un usage exclusivement militaire. Elle est utilisée pour le tir antimatériel et antipersonnel. Dans la doctrine d’emploi de l’Armée de terre, l’Hécate II est mis en œuvre pour neutraliser des cibles à moyennes et longues distances situées entre 500 et 1 800 m. En configuration de tir, le fusil affiche une longueur de 140 cm pour une masse de 15,8 kg. Cela représente un lourd fardeau lorsqu’il est nécessaire de se déplacer à ski ou de gravir une paroi escarpée en montagne. L’Hécate II dispose d’un appuie-joue réglable, d’un bipied pendulaire et d’un frein de bouche à inverseur de flux qui permet de réduire le recul d’environ 50 % lors d’un tir. Pour les TE, l’Hécate II est une bonne arme, mais les années d’opex, l’utilisation de balles perforantes ont mis à rude épreuve les fusils et leur canon. Le maintien en condition opérationnelle de ces armes nécessite aujourd’hui des phases de maintenance régulières afin de contrôler leur état général2.
Du côté des optiques, des lunettes Schmidt & Bender PM II ont été commandées sur fond propre par le 27e BCA. Les LTE J10 F1 de grossissement 10 x 40 sont encore omniprésentes au sein de l’Armée de terre et de la 27e BIM, mais ces ⇐ optiques ne correspondent plus aux attentes liées à l’évolution du matériel et demeurent marquées par les années de service. Ces lunettes devraient donc être progressivement renouvelées par du matériel neuf et mieux adapté pour le tir longue distance. Le pack Vitel (viseur infrarouge thermique pour tireur d’élite), quant à lui, est perçu progressivement au sein des sections TELD de l’Armée de terre. Ce viseur thermique développé par la société Bertin a été qualifié par la DGA pour équiper les Hécate II afin d’engager des objectifs de nuit.
En dehors du PGM Hécate II, les TE comme les TP utilisent également le FR-F2. Le fusil, chambré en 7,62 x 51 mm, est en service depuis plus de 30 ans et a été déployé sur tous les théâtres opérationnels. Il est aujourd’hui à bout de souffle et son maintien en condition opérationnelle pose de plus en plus de difficultés. Des réflexions sont en cours à la STAT et à l’Ecole de l’infanterie pour le remplacer à moyen terme (voir encadré).
Un nouveau venu a également fait son apparition dans les sections TELD depuis quelques mois. Il s’agit du HK417. Des HK417 avaient déjà été vus en Afghanistan dans les mains des chasseurs alpins il y a quelques années, mais ils avaient ensuite été retirés de la circulation pour être mis sous cocon3. Aujourd’hui, le fusil produit par Heckler & Koch revient en force et fait dorénavant partie du pack standard des sections TELD de la 27e BIM. La lunette Schmidt & Bender PM2 10×42 a été ⇐ sélectionnée pour équiper cette arme. Le HK416 en version courte de 10 pouces n’est, quant à lui, pas encore perçu dans les STELD. Seuls les tireurs d’élite rattachés au groupement de commandos de montagne (GCM) sont équipés de cette arme pour remplacer le Famas.
Le matériel des TELD
En dehors de leur tenue de camouflage et de leur ghillie, les trinômes TELD emportent avec eux tout le matériel nécessaire pour durer sur le terrain, capter du renseignement et optimiser la précision des tirs. Ces outils sont principalement mis en œuvre par le spotter et le chef d’équipe pour permettre au tireur de faire but d’emblée ou pour corriger les tirs. Les différentes tables et les abaques ont pour but de compiler tous les paramètres extérieurs pour régler les lunettes des PGM, des FR-F2 ou des HK417. Pour affiner les réglages, les observateurs et les tireurs prennent des mesures à l’aide de différents moyens, dont des anémomètres de poche Kestrel 3500. Ces appareils portatifs et discrets sont légers et faciles d’emploi. Ils permettent de capter les écarts de températures, la pression atmosphérique, l’altimétrie et la vitesse du vent (actuelle, minimale et moyenne). Afin d’optimiser les réglages, la jumelle Vector IV est également mise en œuvre par le trinôme TELD. Un télémètre laser intégré à la jumelle permet de mesurer la distance exacte qui sépare la cible du tireur. Sa précision est de l’ordre de 5 m pour un objectif situé à 4 km de distance (en fonction des conditions d’observation et de la nature de la cible). La Vector IV permet aussi de mesurer l’angle d’un dévers (plage allant de – 35° à + 35°) afin de permettre au tireur positionné sur un point haut d’optimiser la trajectoire balistique du projectile pour toucher une cible située en contrebas à plusieurs centaines de mètres de distance.
En complément du Kestrel 3500 et de la Vector IV, l’observateur dispose également dans son ⇐ paquetage d’une lunette d’observation longue distance Zeiss 20-60. Ce dernier a constamment l’œil rivé dessus lorsqu’il est à poste. Grâce à cette lunette Zeiss, il est en mesure d’observer une cible, de fournir des précisions sur les éléments naturels autour de cet objectif (vent relatif, visibilité…), d’autoriser le feu et de visualiser la précision des impacts de projectiles.
Il arrive parfois que des trinômes ou des groupes TELD emportent également avec eux des JIMLR (jumelles infrarouges multifonctions long range). Ces jumelles permettent au TELD d’effectuer du renseignement de jour comme de nuit. La JIMLR regroupe en effet de nombreuses fonctions et permet d’observer efficacement un objectif grâce à la fusion des voies visibles et thermiques, d’effectuer de la télémétrie, de déterminer les coordonnées GPS d’une cible afin de transmettre ces données à l’échelon supérieur.
En dehors des équipements dédiés aux TELD, les chasseurs alpins de la 27e BIM emportent également avec eux tout le matériel pour progresser en zone montagneuse et pour traverser des zones escarpées. Les chasseurs alpins sont dotés de matériel technique pour franchir des parois et progresser dans des dévers (baudrier, cordes, mousquetons…). L’utilisation d’une poignée JUMAR ou autre autobloquant s’avère également très utile lorsqu’il est nécessaire de gravir de fortes pentes avec un sac à dos de 30 kg conditionné pour plusieurs jours, des skis, un Famas et le PGM harnaché sur le dos.
1. Cela n’était pas forcément le cas lorsque les TE étaient dispatchés au sein des compagnies, avant ce remaniement entre 2010 et 2016.
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Alexandre ALATI
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