Depuis la mort prématurée, le 5 mars 2013, de Hugo Chavez, ancien lieutenant-colonel des troupes aéroportées, qui a dirigé le pays pendant 14 ans, le Venezuela est confronté à une crise économique sans précédent. A l’intérieur du pays, grèves, manifestations et émeutes se succèdent, les transports sont paralysés et les pénuries en tout genre (en alimentation, en médicaments, en carburant, etc.) s’aggravent. Aux frontières avec le Brésil et la Colombie, l’afflux de réfugiés (entre 1,6 et 2 millions de Vénézuéliens ont quitté le pays depuis 2015) a entraîné une série de heurts (voir encadré). A cela vient s’ajouter une crise frontalière, latente depuis 2015, avec le Guyana.
Cette situation n’a pas empêché la Fuerza Armada Nacional Bolivariana (FANB), l’armée vénézuélienne, de lancer au cours de ces dernières années un vaste programme visant à étoffer ses structures, tant pour soutenir le régime du président Nicolás Maduro, notamment grâce au renforcement de l’appareil sécuritaire en général (forces paramilitaires ou milices), mais aussi pour se prémunir contre toute forme de menace extérieure, y compris et surtout américaine. N’en déplaise à certains, le pari a été tenu. Et cela, en majeure partie grâce à l’amiral Remigio Ceballos Ichaso, Comandante Estratégico Operacional de la Fuerza Armada Naciona Bolivariana (CEOFANB), le CEMA vénézuélien

Trois armées
La composante terrestre de la FANB repose tout naturellement sur l’armée de terre (Ejército Nacional de la República Bolivariana de Venezuela ou, plus simplement, Ejército Bolivariano). Elle compte également la Guardia Nacional Bolivariana, appelée aussi Fuerzas Armadas de Cooperación, équivalent local de la gendarmerie nationale, et la Milicia Nacional Bolivariana, la milice paramilitaire.
Après le plan de réorganisation « Carabobo », qui s’est conclu en 1990, l’instrument de défense vénézuélien a connu au cours de la dernière décennie une nouvelle et profonde restructuration. Celle-ci s’est traduite notamment par la création, en 2008, des Régions stratégiques de défense intégrale (ou REDI pour Regiones Estrategicas de Defensa Integral), qui sont au nombre de huit (Centrale, Orientale, Occidentale, Guyana, Los Llanos, Andine, Maritime et Insulaire), plus celle de la capitale, Caracas, activée en 2016. Peu de temps auparavant, les REDI avaient été réorganisées en zones opérationnelles, territoriales et maritimes, alimentant du même coup les tensions avec la Colombie et le Guyana.
Pour ce qui est de l’armée de terre, celle-ci devrait aligner 190 000 militaires, professionnels et conscrits (24 à 30 mois de service militaire). Certaines sources évoquent le nombre de 230 000 militaires pour l’armée régulière ; 700 000 en comptant les réservistes et les forces paramilitaires et de la milice – lesquels auraient été mobilisés en totalité, en août 2017, lors du grand exercice dit « anti-invasion ». La composante opérationnelle de l’armée régulière, l’Ejército Bolivariano, repose sur les brigades de manœuvre, classées en trois catégories : lourde, moyenne et légère.
Les premières sont représentées par deux brigades blindées, la 11e et la 41e, dont les unités sont concentrées pour la plupart sur la frontière face à la Colombie, notamment celles de la 11e brigade. Chacune d’elles s’articule sur trois bataillons de chars, un bataillon d’infanterie mécanisée, deux groupes d’artillerie et un escadron de reconnaissance. La deuxième catégorie d’unités est constituée par les brigades de cavalerie blindée (la 91e sur trois bataillons blindés légers et un escadron de reconnaissance), d’infanterie mécanisée (les 14e, 25e et 31e sur deux ou trois bataillons d’infanterie, deux groupes d’artillerie et un escadron de reconnaissance), d’infanterie motorisée (les 13e, 21e et 22e sur deux ou trois bataillons d’infanterie, deux groupes d’artillerie et un escadron de reconnaissance). Quant aux unités légères, elles sont représentées par deux types de brigades : les Brigadas Caribe (les 12e, 32e, 92e et 93e), qui sont des unités mixtes sur deux à cinq bataillons d’infanterie légère ou motorisée-mécanisée, deux groupes d’artillerie et un escadron de reconnaissance (la 93e aligne en plus un bataillon de chars) ; les brigades di Infanteria de Selva (les 51e, 52e et 53e), spécialisées dans le combat de jungle, sur trois bataillons d’infanterie, un escadron léger de reconnaissance blindée et une compagnie de mortiers lourds de 120 mm.
A ces brigades de manœuvre viennent s’ajouter la 42e brigade aéroportée, qui aligne trois bataillons d’infanterie parachutiste et une compagnie de reconnaissance, la 35e brigade d’artillerie de campagne sur cinq bataillons ou groupes, quatre brigades du génie (les 61e, 62e, 63e et 64e) sur trois ou quatre bataillons, la 35e brigade de police militaire sur quatre bataillons, et la toute nouvelle 99e brigade de forces spéciales, qui s’articule sur trois bataillons (les 107e, 509e et 993e), plus une compagnie de support logistique. Créée officiellement le 18 août 2017, cette dernière brigade est encadrée organiquement au sein de l’armée de terre, mais relève directement, pour l’emploi, du Comando de Operaciones Especiales.
Ce nouveau commandement des opérations spéciales est de type interarmées puisqu’il exerce son autorité non seulement sur la 99e brigade, mais aussi, depuis sa création, sur la 42e brigade aéroportée, la 8e brigade commando de l’Armada Bolivariana, la marine vénézuélienne, le 20e groupe de l’Aviación Militar Nacional Bolivariana, l’armée de l’air (Combat-SAR et appui aux opérations spéciales) et le groupe dit « d’action » de la garde nationale (intervention à haut risque, antiterrorisme et libération d’otage).

Un parc blindé-mécanisé conséquent
Les équipements en service dans l’Ejército Bolivariano reflètent son organisation : des moyens lourds et conséquents, sans équivalent chez son voisin et rival colombien, notamment en matière de chars, de VCI et d’artillerie. La présence de matériels russes y est très significative, surtout depuis le gros contrat signé avec Moscou en 2009, mais on trouve aussi des matériels chinois, qui sont venus s’ajouter aux engins et systèmes d’armes occidentaux, acquis avant l’ère Chavez.
Le noyau dur et le plus moderne au sein de l’arsenal terrestre vénézuélien est constitué par 92 chars T-72B1 d’occasion, livrés par Moscou en 2011-2013, après modernisation au standard M1M. En 2012, suite aux tensions frontalières avec ses deux voisins, la Colombie et le Guyana, les autorités de Caracas avaient annoncé la signature d’un second contrat pour 100 chars supplémentaires, non encore livrés, avec une option pour un nombre non communiqué de T-90. L’objectif de l’Ejército Bolivariano est de remplacer ses chars AMX-13 et AMX-30 encore en service, acquis auprès de la France entre 1954 et 1973, respectivement 67 et 84 exemplaires. Les AMX-13 à canon de 75 mm ont été « cannibalisés » successivement pour supporter les 31 AMX-13 C90, acquis d’occasion en 1989-1990, remotorisés et armés d’un canon Cockerill de 90 mm, associé à un nouveau système de contrôle de tir. En 2014, en attendant l’arrivée d’un nouveau lot de chars russes, l’armée vénézuélienne a lancé un programme de mise à niveau au standard AMX-30VE, d’une valeur de 80 millions de dollars, prévoyant notamment l’intégration d’un nouveau système de contrôle de tir et du GPS russe Glonass. Enfin, l’armée de terre compte environ 80 chars légers britanniques Scorpion 90FV-101, livrés par Alvis en 1988-1991 dans le cadre d’un contrat de 85 millions de dollars, incluant une dizaine de chenillés Sultan et Samson.
Le parc de VCI et VTT vénézuéliens est tout aussi hétérogène. Entre 2011 et 2014, Moscou a livré à Caracas 123 chenillés BMP-3M, y compris les versions spécialisées BREM-L et BMP-K, ainsi que 114 engins blindés 8 x 8 de type BTR-80A, tous de première main. De la Chine sont arrivés aussi plusieurs centaines de VBL, notamment des 4 x 4 VN-4, acquis en deux lots séparés de 141 et 300 exemplaires destinés en priorité à la garde nationale et à la police. A ces derniers, rebaptisés localement Rhinocéros, sont venus s’ajouter, en 2017, un premier lot de 70 engins de reconnaissance amphibie 8 x 8 ATV CS/VP4, destinés autant à l’armée de terre qu’à l’infanterie de marine. En plus de tous ces véhicules russes et chinois, l’Ejército Bolivariano dispose toujours d’un parc d’engins de fabrication occidentale quelque peu vieillissant, tels les VTT-VCI AMX et Panhard AML 60/90, livrés entre 1972 et 1976, respectivement en 74 et 22 exemplaires, ou bien encore les Cadillac Cage Commando V-100 et V-150 (un peu plus d’une centaine d’exemplaires au total) et les 4 x 4 Dragoon (une centaine environ, dont certains équipés du canon LFV-90 de 90 mm). A noter que sont également en service une dizaine de chasseurs de chars 6 x 6 Fuchs-1 armés d’un canon sans recul M-40A1 de 106 mm, livrés en 1983.

Lance-missiles portables à profusion
Côté artillerie de campagne et antiaérienne, la situation est à peu près la même, avec de nouveaux systèmes d’origine russe et d’autres plus obsolètes d’origine occidentale. Entre 2011 et 2014, Moscou a livré ainsi 48 automoteurs 2S19 MSTA-S de 152 mm, dont une partie d’occasion, des MLR de type BM-21 Grad de 122 mm et BM-30 Smerch de 300 mm, respectivement en 24 et 12 exemplaires, et une soixantaine de mortiers de 120 mm 2B11 Sani et automoteurs 2S23 de type Nona-SVK. En revanche, l’artillerie tractée est composée actuellement de modèles occidentaux : obusiers italiens de 105/14 mm Mod. 56 (une quarantaine d’exemplaires, dont ceux en service dans l’infanterie de marine), mortiers de 120 mm Thomson-Brandt MO-120 (36 exemplaires) et obusiers américains M-101A1 de 105 mm et M-114A1 de 155 mm (respectivement 24 et 40 exemplaires). La douzaine de 155 mm automouvants modèle F3 (155 AMF3) ont été retirés du service avec l’arrivée des SS19 MSTA-S russes.
Quant à la défense antiaérienne, assurée conjointement par l’armée de terre et l’armée de l’air, elle est aussi en cours de modernisation avec l’introduction de nouveaux systèmes, russes également. Parmi ceux-ci, rappelons les systèmes sol-air S-300VMK/Antey-2500 (SA-23 Gladiator/Giant), dont la première batterie sur trois systèmes est opérationnelle depuis 2014 (les besoins exprimés portent sur une douzaine de batteries au total), et les systèmes moyenne portée Buk-M2 (SA-17 Grizzly) et S–125 Neva/Pechora (SA-3 Goa) d’occasion, livrés entre 2011 et 2014 à raison, respectivement, de 12 et 11 exemplaires. Plusieurs centaines de bitubes de 23 mm ZU-2-23, dont 300 dans la version améliorée ZOM1-4, sont aussi en service, dont bon nombre sont montés sur véhicules tactiques 4 x 4. Et, surtout, plusieurs milliers de MANPADS (entre 4 000 et 5 000, suivant les sources) de type Igla-S (SA-24 Grinch) ont été livrés, en plusieurs lots, entre 2009 et 2014.