Les derniers retex en provenance des théâtres d’opérations ont amené le 1er RPIMa à s’intéresser au fusil d’assaut MCX de SIG Sauer et au fusil de tireur d’élite CDX-40 Shadow, rebaptisé Elsa (extra long range shooting action), en calibre .408 du canadien Cadex. Histoires de veille technologique, et d’échanges fructueux entre industriels et opérationnels bayonnais.
Souvent perçus comme des enfants gâtés, les snipers doivent en fait disposer du matériel le plus adapté aux contextes tactiques dans lesquels ils s’engagent ; ce qui nécessite de rester en veille technologique permanente, sur les armes et leurs munitions, mais aussi d’investir régulièrement dans de nouveaux matériels. Dans ce domaine, les forces spéciales, et particulièrement le 1er RPIMa, référence du tir à longue distance, disposent de meilleures conditions que les unités conventionnelles, même si les dossiers prennent souvent du temps à aboutir – ce qui n’est pas propre aux fusils.
« Ce sont les théâtres qui nous font changer de calibres », justifie, au beau milieu du Sahel, une des références du domaine tir au 1er RPIMa. « Il nous faut des armes qui puissent prendre la poussière ou le sable, sinon elles ne nous serviront pas dans les posers poussière qu’on fait à Sabre. La M4, par exemple, était très sensible au sable. » L’environnement joue, mais c’est évidemment la performance brute qui compte avant tout, et dans ce domaine, le régiment cherche à aller plus loin avec un matériel le plus léger possible, pour ses fusils de tireur d’élite longue distance (TELD). C’est ce besoin qui avait déjà amené à s’intéresser à la TRG-42 de la société finlandaise Sako en .338LM, un « simple » fusil de chasse à la base. Le régiment l’avait amélioré avec le fabricant, c’est devenu l’arme de référence des unités d’intervention.
Le 1er RPIMa continue d’ailleurs son partenariat avec Sako en testant un TRG-42 en semi-automatique. L’avantage principal est de ne pas dépointer entre deux cartouches. L’arme comporte un chargeur de 10 coups, deux pistons sur le côté du canon, et « il n’y a pas de sensation de recul », explique notre expert.
Mais avant ce TRG-42 de nouvelle génération, plusieurs éléments ont amené les armuriers bayonnais à s’intéresser à une tout autre nouvelle génération d’armes, car l’allonge a été rendue nécessaire par les opérations en Irak puis en Syrie, il y a trois ans. Une guerre qui était au début assez proche de ce qu’ont connu nos anciens, dans les tranchées de l’est de la France face aux Allemands. Sauf que les distances excèdent régulièrement le kilomètre, et parfois plusieurs. En face, il y a bien sûr le Dragunov en 7,62 x 54, que les Français ont notamment croisé en Afghanistan puis dans la bande sahélo-saharienne (BSS). Daech dispose aussi d’armes puissantes, des mitrailleuses de 14,5 bricolées sur des « technical » ou débarquées, et même de canons de 23 mm (une arme sol-air à l’origine).
Il faut donc de fines gâchettes – le régiment en possède – et un matériel doté d’une munition consistante, pour aller recréer l’insécurité chez l’adversaire. Comme c’est parfois le cas, la situation générale est allée plus vite que le processus d’acquisition, en cours (pour au moins une trentaine d’armes), mais l’intention est là. Avec l’arme identifiée, le régiment reste à la pointe, et son choix, également regardé par d’autres (13e RDP, Hubert), bénéficie donc au constructeur canadien Cadex. Cette société discrète peut être décrite comme un incubateur de moutons à cinq pattes. On lui doit notamment des montages spéciaux destinés à des mitrailleuses lourdes, ou encore pour le renseignement.
Le calibre est un .408, qu’on ne présente plus après les résultats atteints, en termes de portée, sur du tir sportif. « On gagne 300 à 400 m de portée », applaudit un chef de stick de tireurs haute précision (THP) bayonnais qui a pu tester cette arme environ 40 % plus légère que celle qu’elle va en partie remplacer en .50.
Dans le domaine militaire, il ne suffit pas forcément de toucher la cible (surtout si c’est un véhicule), mais de le faire avec l’effet terminal demandé. Il fallait donc, en parallèle du processus d’expérimentation de l’arme, identifier le bon fournisseur d’ogives. Les SAS ont donc trouvé chez les fournisseurs de leurs cousins britanniques un prestataire, Sniper Extrem (dont le PDG est Bernie Montana), parfaitement au fait des besoins des forces spéciales. La firme suisse RUAG elle-même pourrait bien se mettre à produire également du .408, qui se répand comme une traînée de poudre dans les unités spécialisées. D’autant que les performances de l’arme sont, par ailleurs, obtenues avec un gain de poids. Cette précision n’est pas inutile, car longtemps le .408 a été une munition rare, car il n’y avait pas de circuits sécurisés pour sa fabrication en grande quantité et, donc, à un bon prix. Le choix retenu par les Français est une 420 grains monolithique. Sept cartouches de .408 pèsent autant que quatre de .50. Selon Delta Defense, qui promeut l’arme en France, l’énergie développée est supérieure à un .50 au-delà de 700 m. L’ogive reste supersonique jusqu’à 2 400 m. La monolithique possède intrinsèquement un pouvoir de perforation élevé, ce qui l’amène à pouvoir encore percer une protection balistique IIIA (gilet basique) à plus de 2 000 m. La même source explique que la balle ne dégrade que très peu son énergie après avoir transpercé un écran (mur, vitre blindée ou d’avion), ne perdant que 12 % de son poids, contre 75 % pour une munition standard.
En tests, Delta Defense annonce des groupements dans 25 cm à 1 400 m, dans 40 cm à 1 800 m, dans 70 cm à 2 400 m. De même, la munition est 68 % moins sensible au vent qu’une .50BMG, assure Delta Defense, 130,1 % moins sensible aux variations de température (qu’une .50 BMG) et 109,2 % moins sensible aux variations de pression atmosphérique.
Le créateur d’Elsa est issu de l’industrie automobile, ce qui l’amène parfois à y puiser des solutions vertueuses. Ici, un amortisseur de recul qui conférerait à l’arme un confort de tir inégalé. Des polymères ont ainsi été insérés dans la crosse. La notice évoque un niveau « comparable à certaines carabines chambrées en .338 d’autres fabricants ». La portée est annoncée à « 2 500 m au moins » en antipersonnel et à « 3 000 m minimum » en antimatériel. Le canon est un 29 pouces Bartlein fabriqué de l’autre côté de la frontière, aux Etats-Unis. L’arme pèse 9 kg à vide, comporte un chargeur de 7 kg. La crosse est rabattable sur le côté droit, un aspect utile pour des utilisateurs parachutistes.
La lunette retenue pourrait être une Vortex Optics américaine, une marque qui équipe déjà certains HK416 du régiment (notamment chez les CTLO). La firme américaine a le vent en poupe après les difficultés de qualité rencontrées sur la boutonite des lunettes Schmitt & Bender (que certains Américains ont rebaptisées « Shit & Bender »), mais aussi la priorité donnée à un contrat de fourniture des US Marines. Deux facteurs qui ont contribué à laisser des traces dans le cœur d’utilisateurs. Là où la Vortex est garantie à vie et waterproof. Comme c’est le cas pour l’arme et pour les munitions, les contacts établis avec Vortex pourraient en plus permettre d’avoir une lunette taillée sur mesure pour les besoins du régiment. La lunette annoncée dans la brochure est une Razor HD Gen II 4,5-27×56 graduée en millième avec 340 clics en élévation et 70 clics en latéral. Le viseur nuit est un Armasight Apollo Pro LR640 de type clip-on (il vient s’intégrer sur le viseur clair via le rail Picatinny) avec une lentille de 100 mm. Cette lunette pèse 1,3 kg et est alimentée avec des piles CR123 ou AA.
L’arme comporte aussi son propre réducteur de son « manchonnable », un bipied Cadex, une sangle de type Biathlon permettant de bien répartir la masse de l’arme pour les progressions.
Il ne restait plus qu’à passer commande. Le CEMAT s’était fait présenter l’arme lors de sa venue à Bayonne, à l’automne dernier, et le GCOS avait rencontré Cadex à Milipol dans le parcours fléché établi par ses conseillers innovation. Quelques jours après, la société canadienne recevait son bon de commande. La société n’est pas connue pour tarder dans ses livraisons. Elle reste aussi sur la brèche du développement, en planchant déjà sur un .408 semi-auto et, peut-être, un 14,5 mm difficile à trouver chez les fabricants occidentaux. Au point que le 1er RPIMa avait dû, il y a longtemps, acquérir un Sero en Hongrie, mais l’expérience ne semble pas avoir été totalement concluante.
300 Blackout
La problématique initiale à laquelle a répondu le calibre .300 Blackout était de remplacer les pistolets-mitrailleurs HK MP-5SD en 9 mm, dotés de réducteurs de son intégrés. Le sujet est loin d’être nouveau puisqu’il remonte déjà à l’époque à laquelle l’actuel chef de corps était chef du bureau opérations et instructions. Le MP-7 du même fabricant, en calibre 4,7 mm, n’était pas une arme suffisante, car le calibre imposait de tirer à la tête (elle a néanmoins été retenue par le service action de la DGSE et le 4e RHFS, et pourrait servir au 1er RPIMa comme troisième dotation pour les snipers). Même si l’arme est discrète et précise, elle ne suffisait pas. A l’époque, le calibre .300 Blackout a été créé pour tirer entre 110 et 230 grains. Le modèle retenu a finalement été une 173 grains subsonique préfragmentée ; le général de Bavinchove, reconverti dans l’industrie, a permis le contact avec SIG Sauer Inc.
La firme américaine développait alors son MCX, une plateforme AR-15 multicalibre et pouvant offrir jusqu’à 500 configurations différentes. Le Virtus est l’évolution de la famille de fusils d’assaut SIG Sauer, après son échec sur l’appel d’offres français AIF (destiné à remplacer le Famas, c’est finalement le HK416F qui s’est imposé) avec le MCX d’origine. Les experts s’accordent sur le fait que l’arme a perdu sur des détails techniques, ce qui n’est plus le cas sur le Virtus. La société américaine était en plein développement du Virtus quand elle a croisé la route du 1er RPIMa, il n’est donc pas inexact de dire que le régiment a contribué, avec d’autres, à améliorer la copie initiale. Grâce à la France, l’arme a donc été améliorée deux fois.
Le MCX n’a pas de ressort récupérateur dans la crosse, mais deux dans le upper. La crosse télescopique type MP-5 et peut remonter jusqu’à la poignée-pistolet, ce qui peut en faire une arme extrêmement compacte le cas échéant. « La précision est d’une tête à 100 m, un buste à 150 m, on est efficace jusqu’à 200 m, explique notre expert. Il suffit ensuite de changer de chargeur pour passer en supersonique, et disposer d’un équivalent AK-47 avec 10 % de puissance à l’impact en plus. » Certes, le régiment aurait pu rester sur ses HK416A5 silencieux, comme ils sont utilisés en BSS. Mais l’arme est extrêmement lourde. C’est une des conséquences du contrat de départ demandé par la Delta Force, à savoir une arme suffisamment stable pour assurer des rafales de deux coups sans dispersion, et pouvant accueillir tout ce qui est nécessaire à des CTLO : double, voire triple organe de visée, poignée, lampe, kit laser. On peut opposer à cette vision l’achat du CZ Bren 2 en 7,62 x 39, comme le GIGN l’a fait, mais ce qui est possible pour quelques dizaines d’armes ne l’est pas toujours pour des centaines. Un argument bien réel, y compris dans les forces spéciales, qui ne sont donc pas forcément les enfants gâtés comme l’armée conventionnelle le croit souvent. Même si le CEMAT a tiré au .300 Blackout, à cette heure aucune commande n’a été effectuée, et l’expérimentation de l’arme et du calibre se poursuit. Comme c’est d’ailleurs le cas, aussi, au RAID.
Autres dossiers
A ces deux dossiers principaux s’ajoutent d’autres armes à remplacer ou à faire évoluer. Le régiment souhaite notamment remplacer les PGM Commando 2 utilisés par les THP en calibre .308. Ce souhait est un des retex de l’Afghanistan : il impose aussi d’avoir une autre arme (fusil d’assaut) dans le dos, soit au moins 5 kg de plus. Or le canon de 10 pouces du MCX permet d’offrir la même précision qu’un .308 pour éliminer une sentinelle, par exemple, puis changer de chargeur.
Il faudra aussi se pencher sur le renouvellement global des armes. En moyenne, les fusils des FS durent quatre ans. En BSS, ils s’usent plus vite, car il y a beaucoup de tirs et ils prennent plus de sable (même si les tireurs les mettent dans les étuis). Dans trois ans, il faudra donc les changer.
Une commande de fusil tirant en .260 Remington est aussi envisagée, afin de traiter des cibles de 0 à 1 400 m en canon de 20 pouces. Avantage de ces armes : elles sont semi-automatiques et légères, plus qu’un .338LM, et pour un résultat proche du .338LM de ce même calibre. Deux ou trois exemplaires pourraient être commandés dans un premier temps.
L’intérêt pour le lance-roquettes Carl Gustav M4 est aussi réel, car son poids a bien baissé (7,5 kg seulement) et il offre une large variété de munitions, de l’antichar 100 m ou 1 100 m. Il constituerait une alternative à l’AT4CS NG acquis par l’armée de terre, qui est monomunition et consommable. En outre, la compagnie suédoise Aimpoint propose une conduite de tir à télémétrie laser qui peut aller aussi bien sur Carl Gustav que sur GMG.
On l’a vu également dans nos sujets consacrés à la TF Sabre, le régiment teste des chargeurs Magpull de 60 coups sur des HK416 des CTLO. Des achats de Minimi viennent d’être réalisés, ce qui éteint a priori définitivement l’hypothèse d’un achat de mitrailleuse légère Negev israélienne, toujours très populaire chez ceux qui l’essaient, car « faite par un soldat pour un soldat ». Quatre exemplaires ont été achetés en CIEPCOS en 2016 (deux en 5,56 et deux en 7,62 x 51).
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Jean-Marc TANGUY
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